Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Le texte original : Hung Over in the End Times.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 70. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

Suspendus à la fin des temps

Si la société libérale1 doit survivre aux cinglés de Dieu, nous devons commencer par les appeler par leur nom

Par Joe Bageant
16 novembre 2004

1. Il est indispensable lorsqu'on lit des textes politiques américains de garder à l'esprit que le mot liberals y désigne, à l'inverse de l'usage français actuel, des gens de gauche. En revanche, les gens que nous appelons libéraux ou ultra-libéraux sont en Amérique des neo-conservatives (parfois abrégé en neo-cons). L'usage américain a été transposé ici car il rend une meilleure justice à l'étymologie. De plus, l'appellation neo-cons a aux oreilles françaises des résonances si flatteuses que nous pourrions bien finir par l'adopter.

2. Dans le texte, Joe Bageant emploie l'expression Bible thumpers qui évoque le geste de taper de la main sur une bible pour appuyer un prêche.

Depuis la réélection de George Bush, les fêlés chrétiens ont monté une attaque contre mon pâté de maison. Depuis cinq ans que je vis dans ce quartier je n'avais jamais eu ne serait-ce qu'un témoin de Jéhovah frappant à la porte. Mais le matin de samedi dernier mon voisin Chiffonnier-le-tisseur-de-laine m'a appelé pour m'avertir de l'approche de ressasseurs de bibles2 tirant les sonnettes de mon côté de la rue. En effet, par la fenêtre il y avait deux femmes en jupe longue avec de vilaines coiffures bibliques venant dans ma direction. Fous de Jésus en approche à neuf heures haut !, j'ai crié à ma femme. Nous avons sauté dans le lit et nous les avons laissé frapper à la porte et jeter des tracts dans la boite aux lettres tandis que Barbara lisait le Washington Post et que j'en écrasais encore une vingtaine.

Ça sera tout, avons nous pensé. Mais le lendemain alors que je promenais mon chien Bingo — un pisse-hound noir d'origine douteuse — une camionnette blanche maraudait près de nous lentement, comme cherchant sa direction. J'ai demandé si je pouvais aider, et PAF ! J'aurais dû m'en douter. C'était un attrape-nigaud évangéliste. Le logo d'une église chrétienne sur la casquette de baseball du conducteur (quand vous voyez une croix, des flammes et une épée dans un logo, fuyez) me disait que j'avais mis les pieds dans une embuscade fondamentaliste. Le conducteur avait l'un de ces sourires délirants que seul un fondamentaliste peut assembler et cette étincelle de ferveur dérangée qui fiche la chair de poule. J'ai arraché Bingo à une bonne pisse et on a décampé. Jésus veut que vous passiez une bonne journée, j'ai entendu par dessus mon épaule, en pensant : Alors pourquoi bon Dieu tu ne fais pas comme Jésus et m'en laisse passer une bonne ?. Je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression que nous n'avons pas vu le dernier de ces connards fous de Dieu et que Bingo et moi allons devoir commencer à nous promener dans les allées plutôt que dans les rues. Et peut-être déplacer l'heure du cocktail de fin de semaine à trois heures juste pour contrarier les fondamentalistes.

3. Dogpatch est la ville rurale imaginaire où se déroulait la très populaire bande dessinée Li'l Abner, publiée de 1934 à 1977.

4. Dans certaines églises fondamentalistes rurales les pratiquants se saisissent de serpents venimeux afin de prouver leur foi. Ce rite ancien a été promu à partir de 1909 par le prédicateur George W. Hensley qui le justifiait par un passage de l'évangile selon Marc : Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades, seront guéris. Hensley est mort de la morsure d'un serpent.

5. Dans le texte : Department of Fatherland Surveillance. La dénomination officielle est cependant : Department of Homeland Security.

6. Le bureau ovale est traditionnellement le bureau du président à la Maison Blanche.

7. Dans le texte : hog and hominy. L'expression renvoie au régime alimentaire à base de salaisons de porc et de gruau de maïs typique de l'Amérique du XIXe siècle.

8. Andrew Jackson fut le septième président des États-Unis de 1829 à 1837.

9. Une obsession due à un passage de l'Apocalypse : Voici la sagesse. Que celui qui a de l'entendement calcule le nombre de la bête. Car c'est le nombre d'un homme, et son nombre est six cent soixante-six.

10. Le Parti Républicain est surnommé Grand Old Party, le Grand Vieux Parti.

Comme l'ont prouvé les élections une bonne fois pour toutes, il y a pléthore de fanatiques chrétiens aux bons vieux États-Unis d'Amérique ces temps-ci et on ne peut plus les ignorer comme des religieux de Dogpatch3. Historiquement, ils ont toujours été là et à peu près en même nombre, juste moins visibles. Mais en ce moment ils sont tout excités à l'idée que Dieu leur donne leur propre président et même leur propre parti politique. Bien sûr, dans un pays limité à deux partis — le Parti Républicain de l'impérialisme lourd et l'Impérialisme démocrate allégé — cela annonce des ennuis pour ceux d'entre nous qui ne prennent pas des serpents4 ou ne lavent pas les pieds des autres gens durant les services religieux. C'est une chose pour eux d'en vouloir à leurs ennemis, et une toute autre d'avoir leur propre président, leur propre cabinet, leur propre Cour suprême et le nouvellement établi Département de la surveillance de la patrie5 pour les soutenir. Ces gens n'ont pas vu l'un des leurs péter dans le bureau ovale6 depuis l'époque de la présidence populiste porc et maïs concassé7 d'Andrew Jackson8. Et comme d'habitude, les fondamentalistes ont les yeux injectés de sang, cette fois pour l'humanisme libéral, la libre pensée, les préservatifs Trojan et le numéro six cent soixante-six9.

Étant donné la nature quasi-fasciste du comportement du gouvernement américain récemment, je ne pense pas qu'il est exagéré d'observer que nous les libéraux semblons être devenus, au moins à un certain degré, les nouveaux Juifs du reich républicain montant. Vous vous rappelez du vieux thème allemand à propos d'un certain peuple responsable de tout ce qui ne va pas dans une société blanche et chrétienne par ailleurs parfaite ? Il a fallu un esprit républicain pour se figurer que l'élite libérale constituait exactement une telle menace pour notre mode de vie national. Souvenez-vous que le public allemand voyait les Juifs comme étant contre ses valeurs aussi, et qu'il a déclaré la guerre culturelle et légale contre les Juifs bien avant que Hitler vienne galvaniser les éléments les plus nationalistes parmi les Allemands. Tout comme les Juifs ont été utilisés dans l'Allemagne nazi pour rassembler les chrétiens allemands, les libéraux américains ont été utilisés lors des dernières élections par l'ultra-droite pour soulever les fondamentalistes chrétiens — des gens qui n'étaient pas intéressés par le projet politique du GOP10 auparavant mais qui sont devenus très excités quand on leur a fait remarquer que leur antéchrist était, ô surprise ! en plein parmi eux. Une élite libérale, athée, homophile, suceuse de cellules souches, ici même à Riverdale ! Le fait que nous soyons au moins la moitié de la population et que cela nous empêche d'être une élite a quelque peu échappé à tout le monde dans l'excitation.

En Allemagne cela se réduisait à la jalousie du succès des Juifs dans la société capitaliste par un groupe de chrétiens blancs qui croyaient avoir été exclus. En Amérique cela se réduit à être soi-disant exclu culturellement par l'élite libérale, plus les droits de vote des fœtus et permettre aux homosexuels de porter des alliances. Nous pouvons sûrement admettre que les fœtus s'en fichent d'une façon ou d'une autre. Les homosexuels sont jusqu'à présent mécontents. Dans les deux cas, cependant, les Allemands et les Américains, le christianisme est une forme d'idéologie politique déguisée en foi religieuse, déployant la force ultime du gouvernement pour déraciner le mal et dominer avec sa propre illusion particulière.

En même temps, il est difficile de savoir qui contrôle qui. Les fondamentalistes chrétiens de ce pays ont-ils maintenant un contrôle significatif sur le Parti Républicain ? Ou ont-ils simplement été amenés à soutenir la dernière mainmise capitaliste-impérialiste américaine sur l'empire et l'exploitation des travailleurs américains ordinaires ? Mon avis est que les gros capitalistes républicains s'en foutent, aussi longtemps qu'ils peuvent prendre le fric et s'enfuir quand les lumières sont coupées, et que les chrétiens s'en fichent aussi longtemps qu'ils peuvent tenter de substituer la Bible à la constitution.

D'un côté les républicains veulent posséder le monde. De l'autre les cinglés de Dieu veulent le dominer, ou le détruire s'il ne peuvent pas : Incline toi devant mon Dieu, mon pote, ou on fait péter la baraque... on supprime tout le monde... en commençant par le Moyen-Orient. Autant que je sache, les fondamentalistes de toutes les religions ont ceci en commun — détruire le monde pour apporter leur propre marque de paradis. La majorité des Américains ne sont pas d'accord avec les idées fondamentalistes chrétiennes ou juives, mais il est impossible d'interroger les fondamentalistes là dessus parce que leur projet est couché dans un langage et des symboles religieux. Et nous savons tous, bordel, qu'Amérique signifie liberté religieuse. Même une liberté religieuse toquée. Alors nous ne contestons pas les chrétiens ou les sionistes de droite parmi nous (la saison est ouverte pour les musulmans cependant). Le peu d'entre nous qui contestent la religion sont déclarés humanistes séculaires satanistes, antisémites ou islamophobes. Tout cela n'arrangeant qu'un groupe — les cinglés politiques de droite qui, dans leur quête de pétrole, de capital, de territoire, ou de quoi que ce soit, utilisent la rhétorique divine pour mener ces fanatiques comme une meute de chiens aveugles baveux. Cette histoire est si vieille qu'il est parfois difficile d'avoir la moindre foi dans la race humaine, n'est-ce pas ?

Le zinzin sacré

11. Le jihad est la guerre sainte des musulmans contre les incroyants.

12. La brit milah est la circoncision chez les juifs, elle représente l'alliance avec Dieu.

Un psychothérapeute m'a fait remarquer récemment que chacune des trois religions majeures du Moyen-Orient de l'âge de bronze, le christianisme, le judaïsme et l'islam, a un zinzin au centre de son récit — un messie, ou un prophète qui a reçu la trique ici sur terre. Il est symbolique des peines de nos propre vies sans inspiration ni grâce. Mais par chance, ces prophètes et ces messies ont laissé une promesse divine de rédemption de cette vie terrestre de remboursements de la voiture, de salopes d'épouses, de gamins drogués, ou dans le cas des fondamentalistes chrétiens, de l'ennui absolu d'être un fanatique religieux. Ça s'appelle la foi. Les fidèles peuvent s'identifier avec les patriarches fondateurs, et être rachetés en se soumettant à Jésus, au jihad11, ou à une alliance, une brit12. Une rédemption accomplie, malheureusement, à la fin du monde. Aussi, le meilleur espoir est la fin de toute vie sur terre. (Ces gens ne laissent jamais de répit.) Mais c'est la seule proposition sur la table pour la plupart de la pauvre humanité souffrante.

Freud aurait dit que cette pensée magique et ce truc de peur divine sont notre idéal culturel, la colle qui nous donne une identité commune et nous tient ensemble en tant que peuple. Notre mythologie. Ce qui aurait été très bien pour la plupart d'entre nous si les fondamentalistes avaient pu en rester là. Mais les fondamentalistes ignorants, qui respirent par la bouche et ne savent pas lire sans bouger les lèvres, prennent tout cela littéralement comme un document historique qui les incite à l'action politique. Le mythe comme charter. Quand notre mythologie réclame joyeusement la fin du monde pour amener un paradis que personne n'a jamais vu, et bien, cela donne une politique misérable. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus. Et comme si cela n'était pas un mal de tête suffisant pour le reste d'entre nous, il faut notre conversion à leur illusion, ou autrement être détruits en tant qu'infidèles. Vous êtes avec eux ou contre eux. La plupart d'entre nous préféreraient être loin d'eux, mais le monde est trop petit pour fuir ces temps-ci.

13. Le houmous, un plat à base de purée de pois chiches et de sésame, et les yeux de moutons sont typiques de la cuisine moyen-orientale, c'est à dire d'une cuisine supposée être biblique.

14. Left Behind (littéralement laissés derrière) est une série de romans mettant en scène l'apocalypse biblique dans le monde contemporain. Lire à ce sujet : Une putain assise sur plusieurs eaux.

En même temps, les fidèles présument être de saintes victimes affligées, tous jusqu'au dernier d'entre eux. Et quand on est une victime, que ce soit de la suppression des dix commandements de son tribunal de pécores blancs par des païens onanistes libéraux du nord là-bas, ou du refus de la commission scolaire du grand Satan au Kansas d'ajouter du houmous et des yeux de mouton13 au menu des cantines, vous êtes autorisé à exercer votre vengeance sous forme de destruction du monde. Qu'est-ce que ça peut faire ? Dieu le détruira de toute façon à la fin des temps, ce que quiconque lit le Bon Livre sait être sur le point de se produire d'un moment à l'autre. Regardez seulement autour de vous la quantité de cuisse que l'on voit ces temps-ci, ou les lesbiennes qui sautent des petites écolières dans les toilettes des lycées de l'Oklahoma (d'après le candidat républicain au sénat Tom Coburn). De sûrs signes de la fin des temps. La seule chose ou presque sur laquelle les trois dieux sont d'accord est que les nombrils exposés et les jeunes gens qui prennent trop de bon temps mènent à la fin du monde. Alors faisons tout péter maintenant. Commençons une guerre nucléaire, puis regardons Jésus revenir sur terre et changer les yeux des libéraux ineptes en gelée. Tout comme dans la série Left behind14. Et même s'il s'avère que ce n'est pas la fin des temps (encore), à quoi bon la religion si on ne peut pas tuer quelqu'un ou au moins avoir un infidèle certifié à rendre misérable ?

15. Les chrétiens ressucités (born again Christians) sont des personnes ayant redécouvert la foi et la pratique religieuse.

16. Le Ravissement (Rapture) est la montée au ciel des bons chrétiens avant la fin du monde.

17. Cecil Blount DeMille fût le réalisateur du film superlativement grandiose Les Dix Commandements.

Rien de cela ne serait possible sans l'extase religieuse — aussi connue sous le nom d'hystérie psychotique. Il y a toujours une conversion hystérique dans laquelle on est pris dans une frénésie jihadiste, ou ressuscité15 et on n'a plus à prendre la responsabilité de sa propre vie ou de son bonheur, on n'a plus à penser — ce qui je dois l'admettre est à demi attirant pour moi, mais je vais plutôt me saouler pour ça. Une fois que l'on a succombé à l'illusion religieuse, la pensée est remplacée par des textes incompréhensibles, des images magiques et des exhortations. Le meilleur de tout, on n'a pas à mourir. Pas vraiment. Quand le Ravissement16 viendra, on va flotter hors de sa voiture, s'envoler vers les cieux nu comme un geai et baigné dans cet éclairage à la Cecil B. DeMille17. (Quand le Ravissement viendra, je récupérerai une Volvo toute neuve de l'un de ces oiseaux. Hé mon pote, laisse les clefs sur le démarreur.) Ou on surgit de la tombe avec l'apparence que l'on avait à vingt et un ans. Ou on se réveille avec Allah et deux douzaines de vierges avec vous-savez-quoi en tête.

Dialogue chrétien, mon cul !

Mais pour être plus sérieux un moment, et un moment sacrément bref je le promets. On ne peut pas parler avec ces gens et on ne peut pas les atteindre avec des mots ou du langage. Sauf si c'est biblique ou coranique ou autrement scriptural. Le dialogue est impossible même si, au moins publiquement, ils prétendent vouloir le dialogue. (Croyez-moi. Ce qu'ils veulent c'est vous convertir. J'ai gaspillé des années sur ce plan dialogue.) Leur seul langage est la rhétorique religieuse et c'est un truc sacrément étroit. Combiné avec l'émotivité de l'état de conscience des ressuscités, cela les réduits à des psychotiques incompréhensibles, spécialement quand ils se sentent menacés, c'est à dire constamment. Des psychotiques calmes, mais des gens fantasmatiques et inaccessibles néanmoins. J'ai des centaines de courriels de libéraux qui sont nés dans le fondamentalisme et que leurs parents ont chassé de la famille, alors soyez assurés qu'ils n'auront aucune difficulté à persécuter des humanistes séculaires étrangers, à l'occasion.

En tant qu'étudiant à vie de la conscience humaine à travers à la fois la littérature sur la conscience et d'innombrables expériences maison avec toutes les sortes de drogues hallucinogènes sur lesquelles j'ai pu mettre la main, laissez moi vous dire ceci : les fondamentalistes religieux font l'expérience d'états archaïques de la conscience liminale d'un type depuis longtemps atrophié ou perdu pour la plupart d'entre nous. Des états extatiques vestigials tels que l'adoration et le ravissement extatique, des états qui résident probablement toujours dans les profondeurs du câblage humain, mais auxquels accèdent rarement les humains modernes. Des états qui reposent hors de la raison et de la logique, et qui leur sont en effet antithétiques. Par conséquent, il ne peut pas y avoir de dialogue parce que ce qui n'est pas né de la raison ne peut être raisonné. Non seulement ces gens ne négocient pas, mais ils ne peuvent même pas entendre. La plupart des libéraux n'ont pas encore compris cela.

18. Lire à ce sujet : Dimanche dans un État rouge.

Mais la plupart des libéraux ne comprendront jamais cela parce qu'ils ne mettront jamais les pieds dans une église fondamentaliste. C'est l'une de ces choses dont il faut faire l'expérience pour la comprendre, peut-être même y être né. Par exemple, ayant été élevé dans le fondamentalisme, je suis toujours prédisposé à ces états, c'est pourquoi je ne vais pas à l'église avec des parents ou des amis ici18. Avec assez de cette ferveur spirituelle collective électrifiante sur-amplifiée, je suis aussi susceptible que n'importe qui de me mettre à parler dans des langues inconnues. Mon cœur bat toujours fort et je m'effondre toujours en larme. Vous le feriez probablement aussi, avec assez d'exposition, bien que je sois sûr que vous ne le croyez pas. C'est une chose d'immersion sociale primitive et vous n'êtes pas aussi fort que vous pourriez le penser. Quelque chose d'ancien et primaire se produit quand on est possédé par l'esprit saint, une psychose de groupe à laquelle avec le temps on ne peut résister. Et cela n'a rien à voir avec l'intelligence que vous pensez avoir, c'est pourquoi tant de gens raisonnablement éduqués semblent tomber sous le charme. Il y a un puissant sentiment de soulagement émotionnel et spirituel, une belle joie désireuse, un bien être et, oui, de l'amour. Les fondamentalistes bien sûr attribuent cela à l'esprit de Dieu. Mais j'en ai fait l'expérience aussi sous LSD dans des conditions qui permettaient l'introspection du phénomène, et je dirais qu'il y a un élément cultuel de psychologie de groupe impliqué dans la manifestation fondamentaliste chrétienne de cet état. Cultuel particulièrement en ce sens que vous devez rester avec le culte (la congrégation) pour entretenir l'état de conscience fondamentaliste. Autrement il se dissipe — on s'écarte de l'église de Dieu. Chaque église fondamentaliste est son propre culte (c'est pourquoi il y a tant de désaccords doctrinaux hargneux entre eux), et les bénéfices ne sont durables qu'aussi longtemps que l'on est membre du culte. C'est aussi pour cela que chaque église se perçoit comme dépassée en nombre, isolée dans le monde séculaire autour d'elle. Elles le sont. Cependant, dans leur isolation culturelle — et par culture, j'entends la vraie culture, pas la merde de la culture industrielle — elles se perçoivent comme menacées, alors elles passent à l'offensive. La seule chose qui les menace est le monde changeant ordinaire, qu'elles voient comme le mal parce que a) : il n'adhère pas à une vision du monde vieille de deux mille ans, et b) : tout se réduit au bien et au mal, point.

19. Dans le texte : Christian Broadcasting Network.

20. Pat Robertson est un multi-millionaire télévangéliste (prédicateur à la télévision) et un militant politique de droite, adversaire de la séparation de l'Église et de l'État. Il prétend que ses prières infléchissent le trajet des ouragans.

21. The Ronettes était un trio de chanteuses populaire dans les années 60.

22. L'Harmaguédon (Armageddon) est le lieu de la bataille entre Jésus et l'Antéchrist. Usuellement le mot désigne la bataille apocalyptique entre les forces du bien et du mal.

Mon ami Scott Ross, présentateur d'une émission de plateau sur le Réseau de télévision chrétien19 de Pat Robertson20 (ne riez pas, il a cinquante millions de téléspectateurs, connaît Eric Clapton et Bob Dylan et il est marié à l'une des Ronettes21), m'a récemment prouvé une fois de plus que les fondamentalistes ne sont pas tous déterminés à dominer le monde (le dominionisme en langage fondamentaliste). Il n'est que justice de dire que les fondamentalistes se répartissent sur toute une gamme et, comme les plus modérés s'empressent de le faire remarquer, les fondamentalistes ne brûlent pas tous de voir une guerre mondiale amener l'Harmaguédon22. Cependant le même thème eschatologique nihiliste court à travers le fondamentalisme (on est une merde de naissance aux yeux de Dieu et à moins de consentir à son programme, on restera de la merde, après quoi on deviendra un sac de merde brûlant en enfer), contraignant leurs perspectives et, comme nous l'avons vu, leur projet politique. Leur différence avec nous est la différence entre la pensée la plus noire du jugement dernier de l'Ancien Testament et celle des Lumières, avec lesquelles a commencé l'effilochage de ces anciens régimes religieux durs à cuire (au moins en Europe). Peut-être que je devrais le dire plus simplement : le christianisme de l'Ancien Testament est essentiellement une religion belliqueuse, adoratrice du sang (dont le symbole est un homme ensanglanté sur un pieu en bois) et j'ai vu trop souvent que lorsqu'ils s'approchent le moins du monde de la politique ils aplatissent quiconque refuse de voir les choses à leur manière. Quant aux fondamentalistes supposés plus modérés, on n'en entend jamais un protester contre de tels outrages. Ils votent avec la clique (désolé Scott).

Il devrait y avoir une conclusion logique à ce laïus décousu, mais je n'en trouve pas, autre que celle-ci : ne vous imaginez pas faire la paix avec ces gens là. Et pour l'amour de Dieu ne croyez pas les conneries des experts pontifiants, qu'il s'agisse de valeurs. Il s'agit d'une minorité parmi nous qui veut écraser toutes les avancées faites durant les Lumières — nous ramener à la loi biblique, les guerres et les rumeurs de guerre. Et il s'agit d'une bande de dispeptiques, des connards de néo-conservateurs raclant le fric qui savaient comment exploiter notre héritage le plus ancien et le plus destructeur, le fondamentalisme calviniste belliqueux apporté ici par les irlando-écossais et qui couve toujours à travers le pays. À présent la plupart d'entre vous qui vivez où on peut acheter un exemplaire du New York Times sans le commander spécialement, ou qui vous sentez libre de marcher dans la rue bras-dessus bras-dessous avec un amant d'une autre race, vous commencez à vous réveiller. Tout ce que je peux dire est que vous avez de pires ennemis que vous le pensez, et ils seront toujours là aux prochaines élections. S'il y en a. Et ils peuvent nous écraser s'ils arrivent à s'aligner avec le même genre de connards tyranniques que cette fois. Ils ne cessent jamais, la preuve en est que ce que nous avons vu en novembre dernier était la culmination de vingt ans d'organisation. Ce que l'on peut y faire est encore en train d'être débattu, mais à mon avis, nommer publiquement ces gens pour ce qu'ils sont vraiment serait un sacré bon début.

Je suis souvent accusé de traiter avec simplisme des sujets très complexes, à commencer par la politique et la religion. Je ne nie pas la charge mon petit. Mais la plupart des grandes questions du monde me passent par dessus la tête. La vôtre aussi, je suis prêt à le parier. Heureusement pourtant, nous pouvons trouver des solutions pour les plus petits abus que nous infligent les fondamentalistes. Prenez ces démarcheurs pentecôtistes qui font intrusion dans ma gueule de bois du samedi matin. Il semble que mon chien Bingo ait un problème de vessie et il pisse d'excitation sur les chaussures des visiteurs à ma porte. Je suis impatient que le prochain fondamentaliste vienne frapper •