Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Le texte original : Dining with the Rhinos.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 70. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

Dîner avec les rhinocéros

Par Joe Bageant
6 décembre 2004

Grâce à un ami sur l'internet, j'ai récemment redécouvert la pièce d'Eugène Ionesco, Rhinocéros — celle dont le sujet est d'être pleinement humain dans un État totalitaire. Bérenger, le protagoniste de la pièce, est un humaniste échoué dans une société dont les membres deviennent lentement des monstres. Des rhinocéros pour être exact, un symbole de laideur stupide attroupée en une ruée irréfléchie. Finalement Bérenger est le dernier homme de chair et de sang restant dans la ruée du troupeau de rhinocéros, et en vient à saisir que la ruée elle-même est tout ce qu'il en retourne. C'est la ruée, la charge irraisonnée ensemble qui cause la métamorphose des gens en rhinocéros.

Les Américains à l'époque, en 1959, voyaient Rhinocéros comme une pièce sur leur thème favori, l'individualisme. Ionesco a essayé de dire aux critiques que c'était une pièce pas seulement contre le conformisme mais principalement sur le totalitarisme, et que la notion même d'un gouvernement ou d'un État proclamant l'individualisme comme l'une de ses vertus nationales est en soi absurde. À quoi les critiques américains répondirent que le totalitarisme ne peut survenir ici car l'Amérique est une nation d'individualistes, prouvant ainsi ce que disait Ionesco. Quoi qu'il en soit, j'ai été boire et grignoter avec les rhinocéros hier soir dans un bar appelé le King Harry's (ce n'est pas son vrai nom) et je peux vous assurer qu'ils prennent leur pied à grogner, beugler et charger tout ce qu'ils voient.

1. Il est indispensable lorsqu'on lit des textes politiques américains de garder à l'esprit que le mot liberals y désigne, à l'inverse de l'usage français actuel, des gens de gauche. En revanche, les gens que nous appelons libéraux ou ultra-libéraux sont en Amérique des neo-conservatives (parfois abrégé en neo-cons). L'usage américain a été transposé ici car il rend une meilleure justice à l'étymologie. De plus, l'appellation neo-cons a aux oreilles françaises des résonances si flatteuses que nous pourrions bien finir par l'adopter.

Le King Harry's n'est pas le bistrot de la classe laborieuse où je vais habituellement, mais l'un de ces faux pubs anglais fréquentés par les affairistes locaux, ce qui ici, en Virginie, veut dire des républicains néo-conservateurs crachant le sang. Des rhinocéros de premier ordre qui veulent tuer et bouffer les libéraux1 et réduire des ennemis aussi menaçants que la France en cendres rougeoyantes. Bien que j'évite généralement le King Harry's — un homme ne peut avaler plus de chauvinisme en une séance — je suis quand même populaire là-bas en tant qu'objet de dérision, étant un ultra-libéral et la vie des rhinocéros républicains ayant tant besoin de distractions. Donc, quand ils ont un authentique socialiste à table, c'est comme si un extraterrestre désarmé passait prendre une bière.

Malheureusement, cela ne s'arrête jamais à un verre et cela se termine toujours quasiment en bagarre, bien que se jeter la boisson au visage soit à peu près le maximum qui puisse se produire parmi une bande de vieux poivrots obèses comme nous. Je ne plaisante pas. On m'a jeté mon propre Martini à la figure à l'occasion, et la barmaid est tellement conditionnée qu'elle m'apporte parfois un torchon quand le ton de la conversation atteint un certain niveau.

2. Johnny Reid Edwards était un candidat possible pour le Parti Démocrate lors des présidentielles de 2004.

3. Shelby Foote était un écrivain et un historien spécialiste de la guerre de Sécession.

4. William Faulkner fût l'un des plus célèbres écrivains américains du XXe siècle et le prix Nobel de littérature 1949.

5. Historiquement, un yankee est un soldat nordiste de la guerre de Sécession. Par extension, les Sudistes appellent ainsi tous les Nordistes.

6. Le Parti Républicain est surnommé Grand Old Party, le Grand Vieux Parti.

7. Lire à ce sujet : Le royaume caché, Dimanche dans un État rouge et Une putain assise sur plusieurs eaux.

Étant donné le genre de diplomés universitaires que les États comme la Virginie moulinent, ils ont tendance à assimiler le socialisme à Joseph Staline et le Parti Démocrate aux libéraux urbains. Libéral urbain est bien sûr l'un de ces mots codés des conservateurs pour prendre tout aux travailleurs blancs et le donner aux nègres et aux portoricains assistés qui ne travaillent pas, là-haut dans les grandes villes du nord. C'est pour cela que ça me glace le cul d'entendre la direction démocrate dire qu'aux prochaines élections présidentielles il leur faudra un candidat du sud, un Clinton ou un Edwards2, pour pouvoir gagner. Un démocrate sudiste est simplement un capitaliste libre-échangiste républicain qui a renoncé au lynchage et arrive avec une brassée de charme sudiste. (Les lecteurs qui pensent que Clinton était un vrai libéral peuvent disposer.) Nous les Sudistes, nous apprenons tôt à cacher notre noirceur sous la flagornerie sudiste. L'érudition avec un accent sudiste fonctionne sur presque tout le monde... une sorte de mythologie du gentleman sudiste, Shelby Foote3, William Faulkner4, que nous jouons aux yankees5 et à nous même. Au monde entier en fait.

Mais en dessous ce n'est rien d'autre que la méchanceté conservatrice dans la plupart des cas, une chose sur laquelle les Sudistes n'ont en aucune façon une franchise mais qu'ils font mieux que la plupart des gens. La méchanceté sudiste a connu une renaissance ces dernières décennies à cause de l'alliance impie de l'Amérique affairiste du GOP6 avec le fondamentalisme chrétien7, et l'attaque manifeste du néo-conservatisme ces temps-ci. Les libéraux urbains ne comprennent simplement pas à quel point les républicains de l'Amérique profonde, sous la tutelle des Sudistes, sont devenus absolument méchants avec les années. L'incapacité des libéraux du nord et des côtes à saisir cela est compréhensible. Pour des raisons de diversité, cette sorte de méchanceté agrégée n'est pas aussi commune dans les grands centres urbains. Cela demande une certaine masse critique de chrétiens blancs homophobes refoulés qui se sentent menacés par n'importe quoi, plus des tas de fric et de flingues pour la rendre manifeste. On a tout ça ici ma poule, et il n'y a pas de rhinocéros plus méchant que le rhinocéros du sud.

D'accord. De quelle méchanceté parlons-nous au juste ? La méchanceté stupide et aveugle. Pire qu'un bon Dieu de sac de serpents. Voici un échantillon d'une conversation standard de rhinocéros, que j'ai copié du forum en ligne local pour être totalement précis en les citant. Mais ces citations viennent exactement des mêmes gens qui disent exactement les mêmes choses soir après soir au King Harry's et croient effectivement à ce qu'ils disent. Je vous rappelle que ceux-ci sont quelques-uns des meilleurs rhinocéros de cette ville, des rhinocéros qui ont leur propre commerce, des rhinocéros indépendants, etc. Vous ne voudriez pas rencontrer les vraies crottes velues.

Qu'est que ça peut faire ce que le reste du monde pense de nous ? Ils ne vivent pas ici et ils ne comptent pas !

Les États-Unis seront forcés de s'engager dans des attaques nucléaires tactiques de faible puissance, en particulier contre l'Iran et la Corée du Nord.

Je soutiens complètement la destruction de la culture et de l'ethnie arabo-musulmanes. La destruction complète de leurs capitales et de leurs centres financiers. Alors on verra combien de temps ils nous narguent.

Mettons fin à toute cette stupide merde de politiquement correct et frappons ceux qui n'obéissent pas. Rien à foutre des pleurnicheries des conseils tribaux européens

Et mon rhinocérisme préféré de tous :

Si les Américains s'unissent et cessent de se questionner autant nous pouvons dominer le monde. Mais toutes ces pleurnicheries libérales ruinent le commerce américain ici et à l'étranger.

Ah ?

Le rhinocéros est surtout un animal pratique et grossier, pressé de faire des choses nécessaires et utiles, qui toutes impliquent l'argent. Ou comme le dit Ionesco : [...] il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves ou de robots [...].

8. Le trappiste Thomas Merton fut un écrivain et un poète prolifique, un pacifiste actif, et un mystique ouvert aux autres religions (et même à l'athéisme).

La ruée elle même est le plus éloquent et le plus tragique de tous les arguments. Car lorsque Bérenger envisage d'aller dans la rue pour essayer de les convaincre, il réalise qu'il faudrait qu'il apprenne leur langage. Il regarde dans le miroir et voit qu'il ne ressemble plus à personne. Il cherche follement une photographie de gens tels qu'ils étaient avant le grand changement. Mais maintenant l'humanité elle-même est devenue incroyable, autant qu'hideuse. Être le dernier homme dans le troupeau de rhinocéros c'est, en fait, être un monstre. Tel est le problème que nous pose Ionesco dans sa tragique ironie : la solitude et le dissentiment deviennent de plus en plus impossibles, de plus en plus absurdes.
— Thomas Merton8, La pluie et le rhinocéros.

9. L'American Civil Liberties Union est une importante organisation non gouvernementale dont le but est de défendre les droits des individus aux États-Unis.

10. Le National Mall est le parc de Washington qui s'étend du monument à la mémoire de George Washington jusqu'au Capitole. Le Capitole est le bâtiment qui abrite le Sénat et la Chambre des représentants.

Du dissentiment ? On le souhaiterait ! À en juger par les libéraux américains ordinaires que je vois ici dans la région de Washington DC, les libéraux pensent que voter démocrate, donner cinquante dollars à l'ACLU9 et faire un saut une fois par an au National Mall10 pour observer les protestations de quelqu'un d'autre suffit à maintenir leur crédit.

Pourtant, certains libéraux très ordinaires de la classe moyenne finissent par se sentir comme Bérenger. Ils commencent à ressentir ce sentiment horrible d'aliénation (du genre auquel nous, les gauchistes américains, nous sommes habitués), une bouffée de l'odeur du totalitarisme approchant. Cela a été très dur pour les libéraux en col blanc qui s'enorgueillissent de leurs jugements équilibrés et s'interdisent les excès politiques. Mais depuis la suspecte réélection à un cheveux de George Bush, j'ai pu obtenir autour de la fontaine à eau d'honnêtes confessions de peur d'au moins quelques démocrates du courant dominant. Ce sont les libéraux qui conduisent des Toyota et des Volvo et dont l'action la plus aventureuse de la semaine est peut-être de se garer à une place de leur coin habituel dans le parc de stationnement de la société. (Que cette action audacieuse attire toujours des commentaires devrait vous donner une idée du désespoir silencieux du travail d'édition dans ce pays.) Quelques uns de ces humbles libéraux commencent à sentir la peur, à saisir l'odeur du troupeau.

Mais ils ont besoin de plus de preuves. Les libéraux ont toujours besoin de plus de faits. Après tout, rien ne semble très différent depuis les élections de novembre. Nous nous levons le matin et tout est pareil que lorsque nous nous sommes couchés. Nous avons toujours notre travail et l'échéance de l'hypothèque vient toujours au premier du mois. La télévision est aussi mauvaise que jamais. Pourtant, quelque chose a changé. On garde davantage ses opinions pour soi ces temps-ci. Il y a quelque chose dans l'air sur laquelle il ne parvienne pas trop à mettre le doigt, et si on ne peut pas nommer la bête, et bien, il vaut mieux ne pas la commenter de peur que les gens pensent qu'on commence à se fêler sur les bords, à devenir aberrant. En plus, en regardant autour de soi, personne ne semble trop fâché à part quelques spécimens aberrants sur l'internet.

11. Ce texte a été publié initialement sur des sites politiques de gauche tels que Dissident Voice.

12. Les États rouges sont les États votant majoritairement pour le Parti Républicain, les États bleus sont les États votant majoritairement pour le Parti Démocrate.

Quand je m'arrête pour considérer ces rares occasions où j'ai été significativement prescient au sujet de la société américaine — et il y en a eu sacrément peu — je me sens aberrant. Bon Dieu, je suis aberrant. La plupart d'entre nous sur ce genre de sites11 le sont. Mais qu'est-ce qui est aberrant dans une société qui regarde six mille meurtres par an à la télévision pour se distraire ? Qui dépense plus d'argent en médicaments pour l'érection et en munitions personnelles que pour l'alimentation des enfants ? J'en suis venu a accepter de me sentir aberrant la plupart du temps. Mais en tant qu'ancien accroc à la drogue, trois fois divorcé, ex-fou de Jésus, ivrogne mécontent et socialiste à temps partiel, je peux dire avec certitude que ce qui se passe autour de nous est aberrant même selon mes standards. Je veux dire que, bon Dieu, l'incapacité des libéraux à remarquer la croissance ici d'une savane entière d'États rouges12 parcourue par les rhinocéros est bizarre.

Appeler le bizarre bizarre est très difficile pour les libéraux éduqués. La plupart ont de belles vies dans la classe moyenne, ou peut-être en vivant dans des milieux moins aisés mais intelligents et artistiques. D'autres sont des enseignants de la classe moyenne ou tout comme, élevant leur famille parmi des amis décemment ouverts d'esprit dans une communauté de personnes semblables. Bien sûr certains sentent la peur. Mais ils pensent que s'ils demeurent invisibles et nient de telles pensées ils échapperont au piétinement du troupeau.

Et aussi, reconnaître que nous avons dégénéré en un système rhinocéroïde à parti unique, le parti des affaires, mais avec deux ailes, les démocrates et le GOP, mettrait le libéral Américain moyen en position de devoir agir. Ou pas. Et voyons la vérité en face au sujet des libéraux américains de la classe moyenne moderne : c'est plutôt une bande de dégonflés qui ne descendront pas dans la rue quelle que soit la façon dont les choses empirent. C'est tout à fait impossible quand votre maison est dans un bon quartier et que le financement des études de vos gamins est en place, même s'il a fallu une seconde hypothèque pour le payer. La dénégation est plus facile, comme cela a été prouvé quand la prétendue gauche américaine a échoué à se soulever au moment où les élections de 2000 ont été truquées, un truc qui ne passe même plus en Ukraine comme il a été prouvé par les protestations massives contre des élections similaires là-bas. Pourtant je dois admettre que résister face au troupeau de rhinocéros demande beaucoup de couilles. Peut-être que la dénégation permet de gagner assez de temps pour boucler les études des gamins et rembourser l'hypothèque avant que les rhinocéros ne lacèrent la pelouse. La dénégation peut fonctionner parfois, mais seulement si on gagne du temps pour soi.

Ayant grandi dans le sud de l'Amérique, je suis pratiquement un expert en dénégation. Nous vivons dans la dénégation de choses telles que le fait que la guerre de Sécession ait concerné l'esclavage, que le tabac cause le cancer et que le réchauffement global est réel. Autrement nous aurions à admettre la proposition des Lumières que l'homme peut progresser par la découverte et la pensée critique, et nous ne sommes pas sur le point de faire cela. Nous préférons la hiérarchie de la féodalité, y compris la nouvelle féodalité globale des affaires. En fait nous avons maintenu notre dénégation du contrat social américain assez longtemps pour réussir à gagner la bataille pour l'âme de l'Amérique aux dernières élections. Nous avons aidé à rendre la rhinocérite dominante afin que l'Amérique puisse se ruer à nouveau vers un passé trouble qualifié de valeurs traditionnelles, en repoussant les Lumières dans le processus.

En même temps il y a de légers signes que certains libéraux américains sont plus alarmés que la plupart de mes amis rédacteurs entre deux âges autour de la fontaine à eau. Il y a eu ces informations sur l'internet et à la télévision au sujet d'une augmentation du nombre d'Américains visitant les sites canadiens d'immigration et de naturalisation. Et bien qu'il n'y ait pas eu d'exode de masse, il y a cette intuition inavouée que ce que les gens pensent à faire, ils finissent par le faire — ou du moins certains d'entre eux. De plus, cela prend du temps de rassembler sa vie pour émigrer. En fait, s'échapper d'une société commerciale qui se fait passer pour un pays, basé sur l'endettement dans la consommation des citoyens, n'est pas tout à fait aussi facile que ça en a l'air. Alors nous allons devoir attendre pour voir combien de citoyens sont sérieux.

Les durs à cuire comme moi et les lecteurs de sites comme celui-ci pestent et fulminent contre la montée des rhinocéros depuis un bon moment maintenant. Mais pour être honnête, je doute parfois moi-même, tout comme ces libéraux mitigés. Comme les leurs, mes sens ne perçoivent pas beaucoup de changements physiques. Je me lève et je me lave les dents, et chaque jour est le même que la veille. Je regarde ma femme dormir, nullement troublée par les spectres politiques imminents qui me hantent si souvent. Et je me demande : est-ce que je suis dingue ? Suis-je finalement tombé dans le précipice que j'ai si longtemps contemplé ? Après tout, le chien machouille toujours le coin du tapis si je ne garde pas un œil dessus. Est-ce que ce ne sont pas les choses de la vie terrestre ordinaire ? Peut-être devrais-je prêter plus d'attention aux trucs quotidiens dont n'importe quelle personne réfléchie sait qu'ils constituent l'essentiel de la vie.

Ensuite cette horreur nationale, le grondement distant du troupeau, m'agite à nouveau.

13. Saint-Christophe-et-Niévès, dans les Antilles.

14. Wal-Mart est la plus grande entreprise de distribution du monde, et le plus gros employeur privé aux États-Unis.

15. Une allusion un peu embrouillée à la phrase de Berthold Brecht : Le ventre est encore fécond, d’où est sortie la bête immonde.

Alors au printemps prochain je prospecterai dur pour une maison en Andalousie, à Saint-Christophe13 ou en Normandie, des endroits où il y a encore des partis politiques humanistes séculaires du type que les rhinocéros voient comme le cœur du mal. Des endroits où il n'y a pas de Wal-Mart14 j'espère — pas encore. Des endroits où la vie comprend le fait d'acheter des légumes sans emballage plastique et de les cuisiner soi-même, et de boire du vin tard la nuit en semaine avec de bons amis parce qu'on n'a pas à se lever à cinq heures du matin pour se rendre au boulot parmi le troupeau des autres citoyens utiles, et si j'ai de la chance, de ne plus jamais posséder une voiture ou une télévision. En d'autres termes, la vie avec l'écorce encore dessus et regarder la politique américaine à distance de sécurité. Antipatriotique, je l'admets. Mais le patriotisme n'est qu'un nationalisme déguisé et ce truc politique du ventre-de-la-bête15 revient à de plus jeunes hommes que moi.

16. Falloujah est une ville d'Irak ravagée par l'armée américaine en novembre 2004.

17. Mindanao est le tiers sud de l'archipel des Philippines.

18. Une arme plus connue sous le nom de Kalashnikov.

Si comme on le prétend la politique américaine est un pendule, alors ce balancement a été sacrément court récemment, quelque part entre la féodalité affairiste à l'étranger, et une forme domestique dans laquelle les rhinocéros jouent joyeusement aux jeux vidéos et regardent le football pendant que leurs gamins chargent dans les guerres pour le pétrole, le territoire et davantage de travailleurs esclaves de l'empire rhinocéros en perpétuelle expansion.

Dites que j'exagère si vous voulez, ou même que je suis paranoïaque. Mais des millions de gens au ventre gonflé sur la planète opinent du chef, ainsi que tous ces jeunes sans emploi à Falloujah16, Mindanao17 et en Bolivie qui remplissent des chargeurs d'AK18 en attendant d'abattre un rhinocéros américain •