Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Le texte original : Nine Billion Little Feet.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 1970. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

Neuf milliards de petits pieds

Sur l'autoroute des damnés : On arrive, p'pa ?

Par Joe Bageant
1er février 2008
John Raymond Castillo, quatre-vingt onze ans. Aube le 14 janvier 1917. Crépuscule le 1er février 2008. Il laisse vingt-et-un enfants, cent quarante petits-enfants et trois cent deux arrières-petits-enfants
— Annonce nécrologique sur la station de radio Love, au Bélize1

1. Le Bélize est un petit pays anglophone au sud du Mexique.

La population du Bélize ? Officiellement c'est environ trois cent mille. Mais si l'on inclut tous les gamins, c'est probablement trois millions
— Greg, un Américain expatrié de longue date au Bélize

Le vacarme d'enfants criant et riant est le bruit de fond du tiers-monde. Au Bélize, comme dans la plus grande partie du tiers-monde, quarante cinq pour cent de la population a moins de seize ans. Une douzaine environ sur ces quarante cinq pour cent s'agglutinent autour de moi tandis que je me coupe les ongles d'orteil sous le manguier. Quelques-uns enquiquinent les chiens galeux et querelleurs mais la majorité est attirée, donnant des conseils sur comment couper le type d'ongle noueux des orteils des vieux hommes : scie-les avec une lime semble être le consensus.

Ce que je vois, ce sont des enfants que j'aide à leurs devoirs et nourrit, et admoneste quant aux notes, des petits membres sans anxiété et raisonnablement heureux de l'espèce humaine. Ils ne ressemblent pas beaucoup à une migration globale ou à une écrasante pression démographique planétaire. Pourtant ils sont parmi la vague la plus incroyable de l'une et de l'autre dans l'histoire humaine.

La plupart des familles ici ont cinq ou six enfants et leurs enfants en auront un nombre similaire. Je n'ai pas encore rencontré un natif du village qui ne pense pas qu'une demi-douzaine est un joli nombre rond pour une progéniture. Ma famille adoptive a six gamins et quatre adultes vivant sur un terrain de quatre-vingt dix mètres par trente. Cela n'inclut pas la famille guatémaltèque de cinq qui vit dans une cabane louée dans un coin du terrain. En supposant que tous les enfants atteignent l'âge adulte et procréent, le compte dans dix ans sera d'environ cinquante personnes de tous les âges essayant d'exister sur ce carré de sable imbibé par les égouts.

Ah, si seulement le futur était si brillant. En tant qu'adultes avec des familles, ces gamins n'auront même pas cet endroit sur lequel vivre, encore moins vivre aussi bien qu'ils vivent maintenant. Les escrocs de l'hôtellerie et des copropriétés venus du Canada, de l'Afrique du sud et des États-Unis sont en train d'acheter ces petits terrains. Ignorants des concepts financiers occidentaux et couillonnés par l'offre des promoteurs de plus d'argent qu'ils n'en ont jamais vu dans leur vie, les locaux vendent. Habituellement, ils sont fauchés dans l'année. En tout cas leurs enfants semi-illettrés rejoindront l'émission de jeunes adultes dépossédés et frappés par la pauvreté, en route pour autre part, de la prochaine génération. Exactement ce dont le monde n'a pas besoin, ni ici en Amérique centrale, ni au Moyen-Orient, ni en Amérique latine ou aux États-Unis. Mais c'est ce que nous avons et c'est ce que nous aurons de plus en plus.

2. Albert Arnold Gore junior est une personnalité proéminente du Parti démocrate, dont il fut le candidat aux présidentielles de 2000. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 2007 pour son action de vulgarisation des causes et des effets du changement climatique.

La croissance démographique est le rhinocéros dans le parc à bébé, la cause fondamentale de notre éco-désastre approchant dont personne ne parle honnêtement. À gauche on reçoit un bombardement d'informations sur ce qu'on doit faire et ne pas faire pour prévenir le changement climatique. Les bons démocrates prennent les conseils d'Al Gore2, qui trouve le moyen de ne jamais mentionner les sociétés faisant les dégâts. Et toute l'Amérique reçoit des publicités pour des voitures électriques réconfortantes — achetez votre évasion du problème, ou au moins de votre culpabilité si vous vous trouvez en avoir une. Mais nulle part nous ne trouvons une discussion honnête de la croissance démographique. Si vous le voulez, discutez de ce que le changement climatique pourrait nous détruire ou pas. Mais la croissance démographique incontrôlée nous garantit de faire le boulot. Comme me le disait un vieil éleveur de l'Idaho : On ne peut pas mener une centaine de têtes de bétail sur deux mille mètres carrés.

La plus grande partie du monde développé demeure sans la moindre idée de la façon dont tout cela affectera sa propre vie. Mais les Américains en particulier ne peuvent pas piger l'impact que ces milliards de personnes auront sur les styles de vie qu'ils sont conduits comme rats en enfer à poursuivre. Environ la moitié des Américains...

3. L'homme qui hurle est à Joe Bageant ce que l'incroyable Hulk est au docteur Bruce Banner. Cet alter ego furibard a fait sa première apparition dans Le fou et les sédatifs : dans le théâtre de fer.

4. Il est indispensable lorsqu'on lit des textes politiques américains de garder à l'esprit que le mot liberals y désigne, à l'inverse de l'usage français actuel, des gens de gauche. En revanche, les gens que nous appelons libéraux ou ultra-libéraux sont en Amérique des neo-conservatives (parfois abrégé en neo-cons). L'usage américain a été transposé ici car il rend une meilleure justice à l'étymologie. De plus, l'appellation neo-cons a aux oreilles françaises des résonances si flatteuses que nous pourrions bien finir par l'adopter.

L'homme qui hurle3 : Regarde par ici Bageant, vieux sac à vent mariné. La moitié des américains vivent sous l'hallucination aux barbituriques qu'ils peuvent sceller les frontières avec de la pâte à modeler, des avions automatisés et des mitrailleuses. L'autre moitié, les libéraux4 en surdose de Prozac et de vin blanc, sont alignés comme des putes de quai agitant la main vers la flotille accostante. Accueillons-les tous ! L'Amérique est la terre des immigrants, alors bon Dieu oui, qu'ils entrent tous  ! Ouais, c'est ça. Que tout le monde vive comme un putain de rat d'égout haïtien dans la nouvelle Amérique du tiers-monde. Bon Dieu, ça a déjà commencé. Ils font crever quarante neuf millions d'Américains parce qu'ils ne peuvent pas trouver le blé du chantage à l'assurance santé. Ils virent des centaines de milliers de gens de leur boîte gigogne en contreplaqué parce qu'ils ne peuvent pas faire la giclée mensuelle. L'Amérique est déjà un pays du tiers-monde avec des mangeoires à service au volant.

Pendant ce temps, les deux camps d'une nation sans aucun sens de l'histoire — au delà de sa propre mythologie des pères fondateurs parrainée par l'État — n'ont pas la plus légère notion de la façon dont les migrations de population depuis les régions de pénurie vers les régions d'abondance ont formé l'histoire humaine, peut-être plus que n'importe quelle autre force, y compris la guerre (la guerre est juste plus dramatique quand elle se produit et plus divertissante à lire quand elle est finie). Les Vikings furent un déplacement de population à partir des terres arables limitées du nord, autour des côtes britanniques jusqu'à la Normandie (puis revenant en Angleterre par Guillaume le conquérant, un descendant viking). Les Huns, les Goths, les Vandales, les Irlandais en Amérique, les Chinois au Tibet.

5. Laredo est une ville du sud du Texas et un important point de passage entre les États-Unis et le Mexique.

L'homme qui hurle : Bon, frérot, je vais te l'épeler tout haut pour toi et en couleurs. C'est en train de devenir carrément brun par ici dans l'Amérique profonde. Tous ces petits enculés raccourcis à cheveux sombres ne sont pas venus ici pour servir d'ornements de pelouse. Et puisqu'ils mangent et chient à peu près autant que toi, il va y avoir une redistribution des friandises. Tu vas voir beaucoup de bidoche américaine alignée côte à côte avec les Salvadoriens, avec leurs brouettes pleines de dollars sans valeur, attendant d'acheter des haricots noirs et de la farine de maïs en gros puis revenant chez eux en stop sur le plateau d'un camion comme le reste du monde au sud de Laredo5 le fait. Ou peut-être en prenant le bus scolaire grillagé en surplus bois de chauffe express retournant dans les sauvages banlieues armées. Un petit conseil du vieil homme qui hurle : s'il y a un bouc à l'arrière du bus, monte devant. Si le bon Dieu de bouc est devant, monte sur le toit. Il y a généralement quelqu'un ou quelque chose à quoi s'accrocher.

Affamés mais toujours à tringler

Pendant ce temps, la vérité reste enterrée dans la merdasse. D'après le rapport le plus récent des Nations Unies sur l'état de la planète, la production agricole s'est améliorée mais n'a pas suivi la population. La production mondiale de céréales par personne a passé un pic dans les années 1980, et depuis elle décroît. Nous avons plus de six milliards de personnes maintenant — il y en avait bien moins de la moitié quand je suis né — et il y aura en gros neuf milliards de personnes d'ici 2050. Mais les Nations Unies, étant une organisation mondiale qui doit plaire à une paire de centaines de gouvernements, chacun battant son propre tambour national pour sa population, prétendent qu'il y a une solution à long terme autre que d'éliminer les deux tiers de la population mondiale durant l'existence des gamins susmentionnés. Donc, les Nations Unies publient les Objectifs du millénaire pour le développement. Cela élude soigneusement le fait que si les actuels six milliards de bouches et de trous du cul qui passent les ressources mondiales à travers leur œsophage comme la merde dans une oie sont insoutenables, alors neuf milliards des mêmes sont trèèèèèès au delà du soutenable de n'importe quelle manière qui mérite d'être appelée une vie humaine.

Pour commencer il faudrait doubler la production mondiale de nourriture pour A) nourrir les victimes actuelles de la faim, et B) pour nourrir les trois milliards supplémentaires. Théoriquement, nous allons nous restreindre. Nous nourrirons les neuf milliards par quelque moyen indiscutablement admirable, comme réduire le gaspillage, ne pas se suralimenter, les bio-carburants et la fin de la consommation de viande. Un petit problème ici, Jackson : nous sommes presque à cours du fertilisant au phosphate qui est le fondement de l'agriculture mondiale. Le sol lui-même est en train de s'effondrer en terme de nutrition humaine, tandis que nous épuisons ses réserves finies d'éléments vitaux, iode, sels de chrome et autres matériaux complexes dont nos six milliards de corps collectifs ont besoin pour fonctionner. Et l'agriculture a déjà pompé les réserves d'eau mondiales jusqu'au niveau dangereux. Pourtant, de quelque façon, nous allons trouver deux fois plus d'eau que nous en utilisons d'ici 2050, au diable le réchauffement climatique et la sécheresse. Tout le temps où nous sommes en train de résoudre le réchauffement climatique, la population grimpe.

6. Thomas Robert Malthus fut un économiste et un pasteur anglican du début du XIXe. Il est particulièrement célèbre pour son Essai sur le principe de population soulignant l'incompatibilité d'une croissance continue de la population avec la consommation de ressources finies.

7. Karl Heinrich Marx et Friedrich Engels furent des théoriciens majeurs du socialisme au XIXe siècle et les auteurs du Manifeste du Parti Communiste.

8. John Stuart Mill fut un économiste et un philosophe libéral du XIXe siècle, étant entendu que ce libéralisme n'a que peu de rapport avec le libéralisme des politiciens et des éditorialistes de notre début de XXIe siècle.

9. Alan Greenspan, économiste et membre du Parti républicain, est surtout connu pour avoir dirigé la Réserve fédérale (la banque centrale américaine) de 1987 à 2006.

Le vieux Tom Malthus6 disait que quelque chose comme cela allait arriver, bien qu'il se soit trompé sur certains détails, ce qu'une personne peut concevablement faire en prédisant le destin de la civilisation humaine une paire de centaines d'années en avance. Traitez-moi de poire ici, mais j'ai tendance à le laisser quitte pour avoir vu juste à quatre-vingt dix pour cent.

Mais aussi, je ne suis pas un scientifique. Les scientifiques américains supposés sophistiqués ont pissé sur la tombe du pauvre Tom au moins depuis que j'étais écolier. Toute ma vie les économistes capitalistes américains ont proclamé qu'ils avaient pulvérisé le problème démographique en épuisant le monde plus vite. Un prophète de catastrophe raté, appelait je crois Malthus, mon professeur de lycée. Même les cocos s'acharnaient sur Tom. Engels l'appellait un barbare. Marx7 ne pouvait encaisser l'action de Tom non plus. Ni pratiquement n'importe qui d'autre, de John Stuart Mill8 à Allen Greenspan9. Et on nous donne toujours l'argument éculé que : Cette planète n'est pas surpeuplée ; elle est juste mal gérée. Même les verts semblent croire que nous pourrons gérer une sortie de cette fatale pagaille, si seulement nous recyclons, si nous portons du chanvre et que nous votons pour le candidat à bicyclette avec le tatouage celtique. Les fondus des technologies alternatives jurent que les nanotechnologies vont nous tirer de là. Mais aux dernières nouvelles les virus pandémiques sont toujours plus intelligents que les nanotubes de carbone. Une histoire d'adaptabilité rapide. Ces petits enfoirés semblent rapides sur leurs pieds, alors dans un match pour le titre entre les nanotechnologies (ou en l'occurrence n'importe quelle technologie) conduit sur le ring par des intellos, et la biologie de l'évolution naturelle — pour laquelle non seulement mère Nature tient la serviette dans son coin, mais aussi provoque le combat — je suis sacrément sûr de parier sur la biologie.

10. Le kudzu ou puéraire est une vigne originaire d'Asie capable d'une croissance ultra-rapide qui l'a fait classer aux États-Unis parmi les espèces envahissantes.

En tout cas, quand il s'agit de la planète, à présent sous la nouvelle direction affairiste globale, elle semble gérée à mort, la terre, les gens et tout. La nouvelle direction, les rois et les seigneurs féodaux de la finance affairiste, sans exception, contemplent avec bonheur depuis le quarante-quatrième étage les six milliards d'employés à salaire d'esclave potentiels et se demande si l'on peut les nourrir de terre et de kudzu10

Malthus doit se retourner dans son cercueil anglais doublé de plomb en ce moment, en ricanant : Faites le calcul, connards ! Mais ils ne le feront pas. Avec le pognon du monde en train d'être chargé sur leurs yachts à destination des Caïmans, ils n'en ont pas besoin. Pas tout de suite, en tous cas. Quant au type à bicyclette avec le tatouage celtique, s'il pédale assez longtemps il est destiné à rencontrer certains de ces quarante-neuf mille six-cent soixante et onze humains nés pendant que j'écrivais ceci.

11. Nestlé Purina PetCare est la branche spécialisée dans l'alimentation animale du géant de l'agro-alimentaire Nestlé.

12. Dans le texte : Homeland Security Fuck Police.

L'homme qui hurle : Et pendant qu'il roule à toute allure, il peut fermer les yeux et faire un putain de souhait avec la fée Clochette ! Ces neufs milliards vont s'envoyer en l'air en essayant de pulvériser la barre des douze milliards. Quand nous vivrons tous dans des casiers de location en mangeant la pâtée Purina11 pour homme, baiser sera l'un des derniers passe-temps gratuits qui resteront, à part écouter la publicité permanente acheminée par nos puces dans le cou, vendant de minuscules voitures propulsées par un élastique, à s'attacher au cul. Alors nous aurons soit la police anti-baise de la sécurité de la patrie12, soit la stérilisation forcée au pic à glace.

En fait, l'homme qui hurle n'est pas si loin du compte. Des cultures stérilisant les humains font l'objet de recherches, et je ne suis pas entièrement sûr d'être contre, partenaire, du moment qu'ils font manger le truc aux Blancs en premier.

13. Dans le texte : carbon emission trading, des quotas de pollution négociables.

Pendant ce temps, l'air devient plutôt doux dans des coins où il ne devrait pas. Tels que le pôle nord. Alors les lézards affairistes et financiers au sommet du roc mondial, dans un ultime effort pour traire quelques foutus milliers de milliards de dollars de plus, ont trouvé un plan : la bourse du carbone13.

Comme dans un accord commercial de la mafia, poignée de main et baiser dans le cou, il n'y a pas de clause d'évasion aux lois de la physique. En aucun cas les règles ne peuvent êtres faussées, bien que votre cul puisse finir pire que faussé si vous essayez d'échapper à la dette que vous avez accumulée, que ce soit en billets verts ou ces trucs contribuant au mode de vie vert de notre planète. Les deux sont finis et vitaux. Ce qui veut dire qu'on se fait tuer si l'on essaye de truquer le jeu, et qu'on ne peut certainement pas s'écrire une close d'évasion après coup. Mais cela n'empêche pas les flambeurs, bateleurs et bonimenteurs que nous appelons législateurs d'essayer.

Naturellement, ils aiment la bourse du carbone. Pour mon esprit du moins, tirer un profit du fait que l'on ne pisse pas dans la gourde potable de la communauté est le genre de logique que seuls les sociétés privées et les gouvernements obsessionnels, basés sur la propriété, pouvaient imaginer. Cela suppose que : A) empoisonner tout le monde dans le bocal humain est un droit pour commencer, et B) que ce droit est une propriété qui peut être achetée et vendue entre empoisonneurs affairistes.

14. Manpower est la deuxième société de travail intérimaire du monde.

Échangé ou non, il y aura plein de carbone tout autour, alors ne vous inquiétez pas trop de ne pas recevoir votre juste part. En fait, nous pourrions garer toutes les voitures de la planète et être assurés d'un bon approvisionnement continu de pollution au carbone pour nos arrières-arrières-arrières-petits enfants. Il s'avère que, des décennies en avance sur un programme de réchauffement global déjà sinistre, les dépôts biologiques de carbone commencent à relâcher assez de ce truc pour nous faire patienter, afin que notre progéniture puisse haleter tandis qu'ils iront l'un sur le dos de l'autre en planche à roulettes de leur caserne au goulag Manpower14. De toute façon, nous pouvons monétiser la pollution, et vendre et revendre notre ciguë partagée en commun, et nous pouvons appeler cela une solution partielle et un pas en avant progressiste. Mais c'est toujours de la ciguë. Pourtant, les économistes nous assurent que c'est du bon sens de privatiser, puis d'acheter et de vendre la catastrophe sur le marché de la calamité.

L'homme qui hurle : Regarde par ici mon petit. Ils sont en train de polir un étron pour pouvoir plumer les ploucs. Et le public de crétins enfoirés gobe ça ! Un économiste l'a dit et un écologiste est d'accord, alors ça doit être une bonne idée, hein ? Mais quand tous ces pigeons sans diplôme d'économie comprendront que cet étron ne brillera jamais, le jeu sera fini. Spécialement quand ils commenceront à associer la pollution avec le fait que leurs gamins naissent avec cent soixante-dix-sept dents et un coefficient intellectuel de trente-trois.

Le grand jeu de bonneteau des biens communs

15. Dans le texte : monetization and propertizing.

16. Outback est une chaîne de grills américaine dont les établissements ont un décor australien (boomerangs, kangourous, etc.).

La plus fatale folie de la civilisation a été de monétiser et de privatiser15 le monde naturel qui est le grand bien commun de l'humanité. En fait, ces deux choses — monétiser et privatiser — en sont venues à signifier civilisation depuis la perspective de la plupart des gens ordinaires au cours des siècles de plus en plus brutaux qu'elles ont permis. Si la civilisation d'accumulation moderne n'est pas perçue comme très brutale par, disons, le gestionnaire de fond spéculatif moyen ou l'oligarque russe avec un téléphone portable branché dans une oreille, lancé à travers l'espace commun de la terre dans une nouvelle BMW vers, soit le grill Outback16, soit un rendez-vous avec sa maîtresse, et bien, leur perspective est certainement celle d'une minorité. Demandez à n'importe quel indigène.

Les communs sont peut-être le petit terme précieux du moment, adopté par les écrivains et les militants américains préoccupés par l'écologie, moi y compris — mais il repose sur le vieux concept européen de la terre, du nôtre ensemble et du mien privé. Ce truc de feuillage vert qui passe en sifflant à côté de notre pare-brise est plus que de l'espace partagé en commun. C'est notre oxygène partagé en commun et notre sang chlorophylien. Et la boue raclée et martelée jusqu'à la stérilité et étouffée sous l'asphalte est l'armature, les os de notre existence. Il n'a jamais été possible de posséder aucune partie de ces soi-disant communs, un mot qui existe seulement pour que quelqu'un d'autre — habituellement un type moins que bien entouré de malfrats en armure et que sais-je — puisse en appeler un morceau sa propriété privée. Tu as osé tuer et manger l'une de mes perdrix ! Meurs, enfoiré de paysan !

Mais une fois que l'illusion s'est installée, et que les paysans ont eu la permission de gratter de quoi vivre sur leur misérable petit carré désigné, il n'y avait plus de rebroussement possible. Particulièrement si l'on était européen ou un dérivé, et qu'on se retrouvait finalement du côté gagnant de l'illusion, autrement appelée empire. Mais il n'y a jamais eu le mien et le leur, quand il s'agit de respirer de l'air propre ou de boire de l'eau propre. Cela n'est apparu ainsi qu'aux esprits privatisés et aux cultures occupées à conquérir, tuer et piller le monde naturel des autres peuples. Et grâce au plus grand de tous les tours de transformation du féodalisme, le capitalisme, il ne reste plus grand chose à piller.

17. Natural Forest Protection Program et Sloping Land Conversion Program, selon la dénomination officielle en anglais.

18 & 19. En français dans le texte.

Pour les Américains cela est particulièrement ironique, particulièrement en termes de politique. Juste quand nous commencions à faire le battage du triomphe du capitalisme de consommation américain contre le communisme, l'écologie mondiale s'est mise à refouler comme une fosse septique de beauf. Et Cuba sous Castro, parmi tous les lieux, a émergé comme un phare d'éco-illumination relativement exempt de pétrole, d'agriculture biologique et d'air propre, grâce à notre embargo de quarante-cinq ans et aux Ruskoffs fermant le robinet à pétrole du pays des cigares en 1990. Et maintenant, malgré ses antécédents toxiques, nous découvrons que la Chine, les mêmes sacré bon Dieu de fourmis qui ont carrément affamé trente millions de personnes (tenez, en voilà du contrôle démographique) afin de descendre de catégorie de poids pour un grand bond en avant, mènent les deux plus grands projets d'éco-réhabilitation sur Terre — les programmes de protection de la forêt naturelle et de reconversion des terres en pente17. Ce sont des efforts admirables aux yeux du monde, même si l'air des villes est toujours si vicié que les vautours y volent et tombent morts. Cela bat certainement les États-Unis refusant de s'arrêter à la conférence de Kyōto, même pas pour les hors-d'œuvres18. Ou se rendant à l'éco-sommet de Bali juste pour chercher des noises aux Français. George Bush peut prétendre être du Texas, mais il joue au poker global comme un ivrogne. Pendant ce temps, les Chinois récoltent toujours les bénéfices d'avoir supprimé ces trente millions parce que, voilà19, ils ne se sont jamais reproduits. Ces gars sont impénétrables ou quoi ?

20. Dans le texte : prime apes, une taxinomie plus populaire que scientifique.

Alors, que peut faire un pur Américain sinon tourner en voiture dans les banlieues à la recherche de poulet frit, regarder les mauvaises herbes pousser sur les pelouses saisies, et baver dans nos téléphones portables à propos de notre position géographique, ayant perdu tout sens de notre position historique et morale. Je descends l'avenue Shirley. T'es où ? — Moi ? Je mange une pizza et je regarde une belle blonde sur Planète animale bécoter des chimpanzés bonobos. C'est éducatif. Plutôt excitant aussi, d'une façon bizarre. Maintenant les amis, ceci est appelé notre environnement socio-économique. C'est peut-être social, et c'est peut-être économique, mais il est sacrément sûr que ce n'est guère un environnement. Sauf si vous vous trouvez être un chimpanzé. Bien sûr, comme les chimpanzés, nous sommes des primates supérieurs20. Et en tant que tels, nous sommes censés avoir de gros cerveaux qui justifient notre succès en tant qu'espèce. Nous allons devoir la repenser, celle-là. Je ne vois pas beaucoup de succès ici, mec. Et toi ?

Que quelqu'un d'autre arrange ça pendant que je prends une salade

21. Dans le texte : officialdom has failed us.

Aussi misérables que nous soyons en tant qu'espèce, tout le monde n'est pas un porc moral. Des millions d'individus, et même certains gouvernements, sont démoralisés par ce qui est en train de se produire. En Amérique les meilleurs d'entre nous sont indignés et protestent que l'autorité nous a laissés tomber21. Malheureusement, nous sommes l'autorité, aussi indirectement que ce soit. Parce que nous sommes l'humanité et que l'humanité est entièrement incluante, organiquement et pour toujours — pour toujours s'étant avéré quelque peu plus court que nous le pensions. Si l'autorité nous a laissés tomber, c'est parce que nous nous sommes laissés tomber, et sous de nombreux aspects, nos gouvernements officiels nous fournissant une excuse collective pour ne pas agir personnellement.

22. Amazon est une grand entreprise de commerce en ligne, initialement spécialisée dans la vente de livres.

23. L'iPod est un baladeur à mémoire commercialisé avec un immense succès par la société Apple.

24. Jabba the Hutt est un personnage secondaire de la série cinématographique de science-fiction Star Wars. Sa physionomie d'étron ventripotent régnant sur une monstrueuse cour des miracles en a fait un symbole populaire de corruption physique et morale.

25. La trifluoperazine, vendue (entre autres) sous la marque Stelazine, est un médicament prescrit pour le traitement de l'anxiété et des troubles psychotiques.

26. Olive Garden est la plus grande chaîne de restaurants à thème italien des États-Unis.

27. Circuit City est une chaîne de grandes surfaces spécialisées dans l'informatique et l'électronique domestique. À l'heure où est écrite cette traduction, soit dix mois après la publication du texte original, Circuit City s'est déclarée en faillite.

Pour l'essentiel cependant, les Américains conscients regardent et attendent que quelqu'un d'autre fasse un geste important. Les tripes sont inexistantes chez les Américains de nos jours, déprogrammées de nous durant la captivité luxueuse de la fête du pétrole pas cher qui a conduit notre grotesque et brève civilisation. Pourtant, s'il y a jamais eu un moment pour faire preuve de tripes, c'est maintenant. Pas en manifestant — ce qui est devenu un sport de mauviettes libérales supervisé par l'État sécuritaire — mais en abandonnant la vie matérielle, la vie du consommateur. Toute ou presque. Y compris tous ces livres gauchistes et alternatifs d'Amazon22 — rester assis sur son cul en lisant et en buvant du thé vert juste parce qu'on peut se le permettre n'est qu'un autre type d'inaction et de consumérisme. C'est le seul acte réel de protestation possible pour les prisonniers de notre monolithe conduit par la consommation. C'est vrai, vous ne serez qu'un petit gars sans iPod23 ni voiture jetant une seule pierre aux États-Unis de Jabba le Hutt24. Mais en supposant que vous soyez encore capable d'une sorte de vie après le conditionnement de l'esprit à la Stelazine25 qui nous a tous été administré ces quarante dernières années, j'ai du papier monnaie à miser que vous posséderez votre vie d'une façon qui semblait auparavant impossible. S'agripper à la pacotille ou courir après est fini de toute façon, aussi mort que l'économie. Le Jardin des oliviers26 et la Cité du circuit27 sont toujours ouverts, c'est vrai, mais seulement parce que les cheveux et les ongles poussent encore sur le cadavre de Jabba. Quelqu'un pourrait-il, s'il vous plaît, cesser de prétendre qu'il est vivant et arracher la perfusion ?

Les railleurs abondent, ces mort-vivants titubants et ruminants dont la meilleure réplique est : Oh, si les choses allaient si mal quelqu'un s'en occuperait. Quand on leur demande qui pourrait être ce quelqu'un, ils trouvent habituellement : le gouvernement. Ou la science, ou le plus stupide de tout : la solution du marché non-régulé. En d'autres mots, ils n'ont pas la plus petite putain de notion autre qu'il y a une grande force gouvernementale ou commerciale qui gouverne leur destinée — si vaste que, comme Dieu, ils n'ont pas besoin de la comprendre, juste de jurer par elle et de lui faire confiance, même s'ils ne savent pas exactement ce que ça peut bien être. Ce que c'est, bien sûr, c'est un bon vieux pillage. Mais même Alaric le Goth limitait le pillage à trois jours, avec un jour de viol en prime si le siège avait été particulièrement bon.

L'éthique du flingue et du cheeseburger

Au village de Hopkins, on peut trouver des exemples de tout ce qui est à la fois en train de détruire le monde (il n'y a guère de villageois ici qui ne vivrait dans le style de vie américain s'il en avait la moitié d'une chance), et de tout ce qui est bon dans le monde (ce matin, j'ai pris un bain dans la mer à l'aube, puis j'ai mangé des papayes fraîches avec l'un des gamins qui supervisent maintenant ma pédicure). Les Américains constituent cinq pour cent de la population du monde mais consomment au moins vingt-huit pour cent de ses ressources. C'est l'une des contributions principales au fait que les gamins autour de moi, Kirky, Lian, Ebony, Dennis et les autres, n'ont pas d'avenir. Est-ce notre faute ? Vous et moi nous ne sommes que deux sur trois cent millions d'Américains. Pourtant, juste parce que notre contribution à la misère globale semble petite, cela ne nous exempte pas de la responsabilité. Si je prenais part à la lapidation massive d'un enfant, serais-je moins coupable parce que la pierre que j'aurais jetée serait plus petite que le reste ?

28. National Geographic Channel est une chaîne de télévision spécialisée dans les émissions documentaires traitant de géographie, d'archéologie et des sciences naturelles.

La compassion figure quelque part dans tout cela. Ou elle est censée figurer, en tout cas. Sans elle, nous sommes perdus. Étant né américain, j'en ai aussi peu que n'importe qui. La semaine dernière une jeune femme garífuna de notre village, une voisine et amie, a perdu son enfant dans un terrible accident de camion. Cette nuit, avec les voisins rassemblés autour d'elle dans la pénombre de leur cabane, son chagrin était au delà du chagrin. Incapable même de marcher, elle gisait sur le lit en émettant un hurlement gargouillant, bas et sauvage. Et tandis que je me tenais là, tassé parmi les visages noirs, je ne ressentais rien, à part un fort sentiment d'être en train de regarder un documentaire du National Geographic28. Des gens exotiques basanés, endeuillés dans un cadre étrange. C'est ce que font les médias américains à la conscience humaine. Fournir des points de référence inhumains au cerveau, à l'esprit, pour remplacer l'expérience et le sentiment. En tant que peuple qui ne fait manifestement preuve d'aucune tripe et encore moins de compassion pour le reste du monde, nous sommes vraiment en difficulté.

Confortables comme nous avons été dans notre plénitude, et confiant comme nous l'avons été dans la providence — ou peut-être à cause de ces choses — nous, les Américains, sommes maintenant au carrefour moral et éthique le plus critique et terrible de notre histoire. Nous soucions nous aucunement de quiconque sauf de nous-mêmes ? Le lecteur, qui n'a jamais rencontré Ebony, Lian, Kirky ou Dennis, est-il responsable de leur fournir un quelconque avenir ? Sommes-nous responsables qu'ils soient nourris suffisamment, sachant bien que le monde a déjà beaucoup trop de bébés de toute façon.

29. Au cas où vous auriez passé les trois ou quatre dernières décennies dans le coma : un cheeseburger est un sandwich rond au fromage, symbole de la restauration rapide à bas prix.

Peu d'Américains mangeraient un cheeseburger29 devant un enfant africain affamé. Mais peut-on manger un cheeseburger dans le dos de l'enfant, hors de sa vue ? De combien doit-on s'éloigner de l'enfant pour que ça aille ? Et si nous avons travaillé très dur pour acheter ce cheeseburger ? Est-ce que travailler dur justifie tout ? Quelle est notre responsabilité ? Ou sommes-nous juste impuissants face à de telles choses ?

Que nous nous tournions vers d'autres gens, les politiciens, les policiers et les supposés experts pour résoudre nos difficultés démontre que nous avons appris à être impuissants. Aucun d'entre nous n'est impuissant. Le fait est qu'à n'importe quel moment donné, à n'importe quel jour donné, nous pouvons faire quelque chose pour aider à éliminer la misère et les disparités. Comme n'importe quel prêtre du tiers-monde vous le dira, cela se fait principalement face-à-face, en aidant les gens un seul à la fois. Mais les frontières de classe de l'Amérique, effrayantes et strictement respectées, nous empêchent même de fréquenter ceux que nous pouvons aider activement. La mère célibataire, le délinquant tout juste relâché de prison, le Mexicain avec quatre gamins qui vide votre poubelle de bureau la nuit.

30. Gap est le plus grand détaillant en habillement des États-Unis.

Les Américains et les gens du monde développé sont dans une position inhabituelle. Nous pouvons aider en ne faisant rien. Simplement en s'asseyant sur notre cul et en n'achetant pas des trucs, en ne conduisant pas jusqu'au Gap30 ou jusqu'au marché bio, en n'allumant pas nos télévisions, ce qui est l'acte de protestation ultime, puisqu'il interdit à la fois l'accès de notre esprit aux intérêts affairistes, et refuse aux monolithes médiatiques cette si importante mer de globes oculaires. Nous pouvons refuser de consommer. En ne consommant pas nous pouvons créer nos propres réductions économiques. Autrement, les réductions économiques n'arriveront pas et la guerre sans fin sera le résultat inévitable. Des gens seront tués pour que d'autres survivent, les pays avancés avec un armement sophistiqué tueront les peuples des pays plus faibles pour prendre leur terre et leurs ressources. Cela arrive. Et si nous laissons cela aller jusque là (bon, beaucoup plus loin, puisque nous le faisons déjà), les Américains seront favorisés puisque nous vivons ici et non dans un pays pauvre. Aussi mal que cela paraisse, nous n'aurons pas de choix parce qu'il est humain de préférer voir les autres mourir et notre propre famille survivre. La morale n'entrave jamais l'ultime survie. À la fin, il n'y a pas d'autre voie qu'une législation universelle pour ramener notre standard de vie matérielle enflé trois générations en arrière. Clairement, la démocratie ne peut pas faire advenir cela. À moins que ce soit une démocratie du cœur humain, cette chose intérieure qui cherche la justice.

Surmonter nos pires instincts est suffisamment difficile. Mais nous avons aussi une gamme d'ennemis authentiques alignés devant nous, dont beaucoup mais pas tous sont de notre propre fabrication. Étant le gamin le plus dur du pâté de maison global, nous avons choisi il y a longtemps une lutte géostratégique pour des ressources énergétiques s'amenuisant plutôt que la conservation. Simplement parce que nous le pouvions. Les plus riches, les plus forts parmi nous, les brutes de cour d'école, ceux qui ont le pouvoir et détiennent toute notre richesse nationale (ils détiennent la richesse, nous détenons la dette) voient la même chose que nous se profiler à l'horizon, et ils construisent leurs forts à travers le voisinage planétaire, accumulant autant de richesse et de pouvoir que possible parmi aussi peu de gens que possible.

31. Dans le texte : chickens coming home to roost, littéralement : des poulets revenant nicher au poulailler.

32. En 1964 la chanteuse et guitariste Joan Baez a refusé de payer la part de son impôt sur le revenu équivalent à celle du budget allouée aux dépenses militaires. Le fisc américain pratiquait des saisies sur les recettes de ses concerts.

Pourtant personne n'est très alarmé par cela, parce qu'ils sont incapables d'être alarmés par quoi que ce soit excepté ce dont les messages d'État leur disent de s'alarmer, principalement le terrorisme, ce qui est une forme de récolte de ce qu'on a semé31. L'Amérique est, de plus, un pays de morts-vivants supervisés par l'État. Cela me fichait les jetons autrefois, mais maintenant qu'ils font partie depuis si longtemps du mobilier national, ils sont juste déprimants. Particulièrement en considérant que, malgré la réécriture républicaine de cette époque, nous, je veux dire ma génération, nous avons eu une chance réelle de retourner cela durant les années 1960. Et nous avons manqué. Nous avons manqué à nous même, manqué à nos enfants. Et comme si ce n'était pas assez, nous avons manqué à la planète et à l'humanité elle-même. Foirer ne peut pas être plus complet que cela. J'ai passé au moins une décennie à entasser la pacotille. La seule excuse que je peux présenter est que je ne savais pas. Et je ne savais pas. Mais d'une certaine manière cela semble si faible.

J'essaye de m'amender. Oui, c'est le mot juste ici, s'amender — pour ma part dans ce sacré bordel. J'essaye de vivre avec environ quatre à cinq mille dollars par an et j'y arrive presque. Je partage le reste avec les nécessiteux du monde, je ne conduis presque jamais, je refuse de posséder un téléphone portable ou quoi que ce soit d'autre qui requiert des batteries mortelles pour la Terre sauf l'ordinateur portable qui fournit à présent mon gagne-pain, blablabla... vous connaissez l'exercice. De crainte de paraître imbu de moi-même, je confesse ma part continue de bousillage de la chaîne alimentaire terrestre due à un amour du porc. Mais dans l'ensemble, je n'ai plus trop honte ces temps-ci de mon rôle dans le désastre en cours appelé Amérique, bien que je puisse faire davantage. Presque hebdomadairement j'envisage sérieusement de refuser de payer l'impôt sur le revenu en tant qu'acte de résistance personnelle. Mais je ne suis pas Joan Baez32 et ce n'est pas les années 1960, et je chie de peur de le faire seul. (Travaillez avec moi là-dessus les gars !) Par ailleurs, ma femme n'est pas enthousiaste à l'idée de son vieux bonhomme jouant au déguisement en cabane. La famille jaserait.

Donc, qui plus est, je vais juste patienter. Soit je verrai ma misérable espèce sauter de la falaise, ou je claquerai en premier. Choix merdique. Pendant ce temps, les bons jours je réalise que j'ai encore des chevaux à débourrer, des jeux de balle à truquer et de la bière à siffler.

Restez fort •