Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Le texte original : North Toward Home.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 1970. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

La maison vers le nord

D'ici, en Amérique centrale, on ne voit pas la cité brillante sur la colline1 de l'Amérique, mais on peut sentir les morts de Gaza

Par Joe Bageant
23 janvier 2009

1. L'expression city upon a hill désigne populairement un célèbre sermon du puritain John Winthrop, gouverneur de la colonie anglaise de la baie du Massachusetts au XVIIe siècle. Ce sermon faisait référence à l'évangile de Matthieu : Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une colline ne peut être cachée.

2. Des galettes de maïs.

3. Joseph Robinette Biden junior est le vice-président choisi par Barack Obama. (Personnellement, j'hésiterais à confier un boulot sérieux à un type appelé Robinette.)

4. La Tournament of Roses Parade (Parade du tournoi des roses) est un défilé de chars fleuris organisé depuis 1890 par la ville de Pasadena, en Californie, accompagné d'un tournoi universitaire de football américain.

J'ai regardé le discours inaugural d'Obama par dessus une assiette de riz, de haricots et de tortillas2 mangés avec les doigts, dans un rade à toit de paille au Bélize. Ce qui est sacrément bio et ethnique, mais je serai le premier à admettre qu'un seau d'ailes de poulet pimentées et un paquet de six canettes glacées auraient été largement préférables à cette pâtée. Et tout comme les Garífunas, les métisses et les créoles ici regardant Obama, j'ai eu la gorge serrée par moments. Après tout, je suis toujours un Américain — bien que réticent — et (malgré l'opinion d'une paire d'ex-épouses) un être humain.

Mais contrairement à la plupart des autres villageois présents, je comprenais aussi que j'étais en train de regarder une production médiatique à quarante millions de dollars dans laquelle les poupées de viande hautement payées aux microphones parlaient en boucle... synchronisant les lèvres aux paroles du tube national, soulignant pour la millième fois que notre nouveau président est noir, et entrant dans des détails sur des choses telles qu'Obama et Biden3 sortant de leurs limousines simultanément. Wouah ! Pour l'essentiel, c'était la Parade du tournoi des roses4, mais avec un discours et un bal remplaçant le match de football.

Obama, comme n'importe quel président, était pleinement conscient de devoir parler à toute la population, pour ne pas mentionner le reste du monde, et son discours était à peu près aussi bon que possible sous cet aspect, avec ses nécessaires crimes d'omission, tels que la non-mention de notre criminalité globale de longue date, à la fois militaire et financière, et de son remède. Mais regardons les choses en face, le sujet des réparations de guerre pour les familles irakiennes n'est pas une bonne ouverture pour un type sur le point de verser presque mille milliards de fifrelins dans les poches des maîtres financiers du capitalisme américain défectueux, de façon à gagner une paire d'années de bonne volonté publique, afin qu'il puisse (espère-t-on) accomplir quelque chose de plus substantiel. Par exemple, il pourrait fournir du pain, de l'eau et du papier toilette gratuitement à toutes les personnes sans-logis à la rue. Aucun Américain n'est assuré même de cela.

Aussi, nous devons nous souvenir qu'il n'en faut pas beaucoup aujourd'hui pour être acclamé comme le nouveau Franklin Delano Roosevelt. D'un autre côté, du papier-cul gratuit pour les sans-logis ferait immédiatement de lui un coco stalinien, d'après les élites affairistes aux commandes, ce gouvernement pas-tant-que-ça-de-l'ombre, qui possède toujours les armes et l'argent, indépendamment de qui est élu. Comme un ami irlandais me l'a écrit récemment : Peu importe pour qui l'on vote, le gouvernement gagne toujours.

Malgré les comparaisons avec Martin Luther King, qui n'a jamais donné un discours ou un sermon hypocrite de sa vie, Obama a eu ses moments hypocrites. Tels que : Nous ne nous excuserons pas de notre mode de vie, ni n'hésiterons à le défendre. Cela peut être interprété d'au moins deux façons. Cela pourrait signifier que : En tant que six pour cent de la population de la planète nous continuerons d'utiliser un quart des ressources mondiales pour consommer de la techno-camelote inutile et payer la lipo-succion de Madonna. Ou que : En tant que nation, nous continuerons à devenir plus stupides, plus provinciaux et plus inconscients en tant que peuple, simplement parce que nous avons la puissance de feu pour le faire. N'attendez aucun excuse.

5. Les Bloods et les Crips sont deux gangs originaires de Los Angeles.

En fait, lorsqu'il s'agit d'excuses américaines, les Irakiens sont certainement en haut d'une très longue liste. Mais les nations sont essentiellement des bandes armées à territoire, et la plus lourdement armée — l'Amérique pour le moment — n'est pas plus susceptible de présenter des excuses à quiconque que les Crips de Los Angeles pour leur dernière virée mitraillage d'une réunion Tupperware des Bloods5.

Obama : Et pour ceux qui cherchent à faire avancer leurs ambitions en provoquant la terreur et en massacrant des innocents, nous leur disons que notre état d'esprit est plus fort et qu'il ne peut être brisé. Et bien, je ne pense pas ! Historiquement, nous avons provoqué à peu près autant de terreur que n'importe qui. En commençant par les Indiens, nous avons affamé et autrement oblitéré assez de bébés des Philippines au Vietnam et à l'Irak pour valider notre volonté ininterrompue et nos talents dans ce domaine.

Mais ce ne sont que des détails, et aucun discours politique ne peut tout couvrir ou être complètement honnête. Ou le moins du monde honnête, en l'occurrence. Alors peut-être que je pinaille ici.

La chose importante, on le suppose, est que nous et le reste du monde puissions tous pousser un soupir de soulagement que le cabinet de criminels de guerre de Bush et le reste de la meute de loups sanglante aient été bannis, renvoyés en jet privé dans leurs luxueuses propriétés et dans leurs meublés d'affaire cossus. Qu'ils aillent manger des truffes, bon Dieu ! Le peuple américain a parlé !

6. Dans le texte : societal operating software.

Le peuple américain, comme on nous en a bourré le crâne depuis la maternelle, est sanctifié et infaillible. Être le peuple américain est notre religion civile — la pierre angulaire d'une foi étrange censée nous unir, indépendamment de notre religion, de notre race ou de notre affiliation footballistique. Et le plus important : nous sommes des individus, par Dieu ! Nous sommes des individus qui achètent dans les mêmes centres commerciaux leur personnage social, qui partagent les mêmes marchandises fétiches et le même hédonisme produit en masse, et qui sont programmés par le même système d'exploitation sociétal6 appelé télévision.

Pour être honnête, pendant que je regardais le discours je ne me sentais pas être un Américain, et je ne l'ai pas ressenti depuis des années. Mais pour chaque âme à la peau sombre dans ce rade j'en suis un, alors je dois en être un, que j'aime cela ou pas. Sur cette note de mélancolie je suis rentré chez moi par la route sableuse, dans le crépuscule.

7. La National Geographic Society (Société géographique nationale) est un organisme à but non lucratif — ce qui n'exclut pas un certain sens du commerce — dont la vocation est de promouvoir la géographie, l'archéologie et les sciences naturelles à travers ses publications et ses programmes de télévision.

De retour à ma cabane au village de Hopkins, j'ai allumé ma fidèle petite radio de voyage National Geographic7 noire et jaune et j'ai écouté les vraies informations. Du genre non-fabriquées, de l'extérieur de la bulle médiatique holographique de l'Amérique, cette information internationale la plus importante sur la planète en ce moment, l'attaque génocidaire par Israël durant trois semaines contre les Palestiniens. Le génocide a été minimisé, évité et/ou dissimulé par les médias occidentaux, et intentionnellement détourné contre les Palestiniens dans le peu de couverture américaine qu'il a obtenu.

8. Al Jazeera est une chaîne de télévision du Qatar qui a conquis une vaste audience internationale en diffusant des informations sur le monde arabe et des opinions qui ne passent pas sur les chaînes occidentales.

Je n'entrerai pas dans les atrocités sans bornes concernant le meurtre volontaire de femmes et d'enfants par les Israéliens, la prise pour cible des travailleurs médicaux humanitaires internationaux, les armes radiologiques (uranium appauvri), les explosifs au phosphore blanc consumant la chair qui sont sacrément illégaux à utiliser contre des êtres humains selon les accords mondiaux... ou les nouveaux explosifs américains qui plantent profondément des milliers de minuscules éclats métalliques dans les civils, après quoi les victimes meurent lentement de centaines de petits saignements internes inopérables. C'est partout sur l'internet, sur des sites comme Counterpunch et sur Al Jazeera8 en anglais et une centaine d'autres pour quiconque veut savoir la vérité. Il y a des événements bien plus sérieux sur cette planète que le nouvel Américain élu Monsieur Loyal pour six pour cent de la planète qui se prennent très sérieusement pour la cité sur la colline ointe et armée par Dieu, et sont habituellement prêts à tuer le messager qui dit autrement.

Et pourtant... et pourtant... il y a quelque chose d'hypnotisant dans notre bon Dieu de conception de la cité sur la colline. Cette notion implacable de perfection. Même si elle a été désespérément pervertie en une expédition pour acheter les parfaites marchandises, la notion d'une société parfaite et de la perfection personnelle hante toujours les Américains, bien que le reste du monde ait à peu près opté pour quelque chose d'un peu plus faisable.

La perfection implique nécessairement une droiture ultime, l'allégeance à la plus haute vérité disponible, et la reconnaissance même des plus brutales... telles que Gaza et notre soutien fonctionnel de ces meurtres de masse. La vérité, particulièrement pour les Américains vivant à l'intérieur d'une illusion médiatique mortelle de notre propre fabrication, est la nouvelle frontière. Nous pouvons blâmer les charmeurs de serpents des médias tant que nous voulons, et les sociétés sans âme qu'ils servent, mais notre séduction a été volontaire.

La vérité a toujours été la seule frontière et elle a toujours été une frontière intérieure, s'agissant de rechercher et de reconnaître sans broncher ce que l'on découvre — ce qui à la fin inspire la compassion universelle. Contempler le monde avec des yeux froids comme les cendres mais avec un cœur comme une fournaise.

9. Mouvement religieux moderne mêlant, selon le goût de chacun, astrologie, emprunts aux religions exotiques et à la contre-culture des années 1960-1970, médecines douces et musique planante.

Et cela la rend spirituelle. Pas religieuse, pas ésotérique, pas mystique, pas cosmique, pas New Age9, mais totalement et humainement spirituelle. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été des individus, mais seulement de brefs nageurs dans la rivière de chair appelée l'humanité. Pourtant, dans chaque frêle être sensible il y a cette petite perle de lumière, de soi, de vérité de la pure existence. Elle peut nous guider vers ces justes choses devant nous, que nous serons à la hauteur de faire ou pas. C'est son but, si l'on peut dire qu'elle en a un.

10. Cotton Mather fut un prêtre et un auteur puritain en Nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle.

11. De nombreux personnages de la Bible traversent le Jourdain.

Maintenant que la cité sur la colline de Cotton Mather10 a prouvé être de la fumée, nous pourrions tenter de pires choses que de nous fixer sur cette lumière comme sur une balise pour traverser les eaux turbulentes de notre Jourdain11 spirituel, vers un rivage intérieur plus parfait.

La perfection, qu'elle soit de la trempe recherchée par les socialistes, les chrétiens, les athées, les bouddhistes ou les musulmans, est en chacun de nous. Ce n'est pas branché, pas scientifique, c'est archaïque, politiquement incorrect et garanti de faire mal. Mais c'est la vérité •