Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Le texte original : One Last Kick at Liberal Dogs — Just to Hear Them Bark.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Courrier des lecteurs

Sale con. Tu t'es regardé cinq minutes ? Tu crois que tu donnes envie à des femmes de ton âge, ou moins ?

Grosse merde.
Pornoconnard.

(Ce courrier fait référence au passage : Cependant, maintenant [que Jane Fonda] a renié lâchement son voyage à Hanoi pour pouvoir vendre plus de livres, je songe à déplacer ma vie fantasmée vers les sites de porno amateur plus de cinquante ans... aucun d'entre eux n'ayant jamais laissé tomber ses fans moralement ou éthiquement, autant que je sache.)

Chère Madame,

Je signale à votre fruste compréhension que les textes de M. Bageant publiés sur ce site sont à l'évidence, et comme il est précisé à chaque page, des traductions. Adresser un hate mail (un courrier haineux) à un autre destinataire que l'auteur souligne cocassement la sottise de l'expéditeur •

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 70. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

Un dernier coup de pied aux chiens libéraux — juste pour les entendre aboyer

Par Joe Bageant
30 mai 2005
Pourquoi vous, les beaufs essoufflés avec une corde en guise de ceinture, supposez-vous que si un libéral boit un verre de vin il va attaquer des gens comme vous ? Vous savez, il est tout à fait possible que quelqu'un mange un morceau de fromage pour une autre raison que la haine des beaufs.
— Posté sur le site Smirking Chimp par le super-génie Wile E. Chimp

1. Il est indispensable lorsqu'on lit des textes politiques américains de garder à l'esprit que le mot liberals y désigne, à l'inverse de l'usage français actuel, des gens de gauche. En revanche, les gens que nous appelons libéraux ou ultra-libéraux sont en Amérique des neo-conservatives (parfois abrégé en neo-cons). L'usage américain a été transposé ici car il rend une meilleure justice à l'étymologie. De plus, l'appellation neo-cons a aux oreilles françaises des résonances si flatteuses que nous pourrions bien finir par l'adopter.

2. Starbucks est une chaîne de cafés organisée sur le modèle de la restauration rapide.

Beaucoup de libéraux1 américains croient que la classe laborieuse les considère comme l'ennemi — qu'elle a un stéréotype des libéraux vus comme un tas de quasi-pédés sur-instruits descendant des cappuccinos au Starbucks2 ou tartinant du brie à une séance de dédicace d'un livre de développement personnel... ou quelque chose comme ça. Nous pouvons remercier la télévision pour une telle ignorance.

Pourtant ce n'est pas un mince orgueil libéral que supposer que les électeurs de la classe laborieuse conservatrice soient aussi obsédés par les libéraux que les libéraux eux-mêmes. Sans vouloir faire éclater des bulles progressistes, les gens de la classe laborieuse que je connais ne pensent presque jamais aux libéraux. Ou aux conservateurs. Bon Dieu, ils pensent même rarement à la politique. C'est vrai, la plupart des gens nés dans la classe laborieuse ont un ressentiment de classe quand ils voient des libéraux de la classe moyenne, diplômés de l'enseignement supérieur, à la télévision. Mais c'est à peu près tout.

Les libéraux sont à vif ces temps-ci, c'est compréhensible. Avoir eu récemment le nez cassé dans une élection frauduleuse par les chemises brunes Bushistes, et bien, cela rendrait n'importe qui hystérique et paranoïaque. Ou déprimé. Mais ça aide de se rappeler ceci : ce ne sont pas les cols bleus, mais les néo-conservateurs de la classe affairiste et des professions indépendantes qui font tout ce raffut autour des vilaines valeurs libérales. Mettez votre oreille politique sur le sol et vous remarquerez que le bruit vient des fêlés du calot religieux et des classes des professions indépendantes et semi-indépendantes néo-conservatrices. Les libéraux urbains ne me croient jamais, mais je vais le répéter quand même : les gens ordinaires de la classe laborieuse se fichent de l'avortement, du mariage homosexuel, de la recherche sur les cellules souches, ou de n'importe quelles autres conneries que balancent les spécialistes pontifiants (sauf le contrôle des armes à feu). Vraiment ils s'en fichent. Si vous leur posez la question ils régurgiteront par réflexe ce qu'ils ont entendu à la radio. Mais ils s'en fichent vraiment car ils sont trop occupés à gagner leur vie et à essayer de prendre un petit peu de bon temps en chemin. Sans parler de devoir s'évader de la même réalité déplaisante que les libéraux, comme le pic pétrolier, ou le fait que tous les Américains font partie des pires difficultés du monde parce que nous consommons trop de tout. (La seule différence est que les conservateurs de la classe laborieuse expriment leur déni en appelant le réchauffement global des conneries d'écolos fanatiques, et les libéraux prétendent qu'acheter une voiture hybride fait une différence. Vous avez déjà vu comment les batteries sont faites ? Vous avez déjà entendu parler du cadmium ?)

3. John Forbes Kerry était le candidat démocrate contre George Bush aux présidentielles de 2004.

4. Si le populisme s'entend en France comme un mélange de démagogie et d'opportunisme politique, le populism américain est la défense des gens ordinaires — que cette défense soit sincère ou non, qu'elle soit formulée en termes progressistes ou conservateurs. C'est ainsi que les Américains peuvent qualifier de populistes des gens aussi différents que Silvio Berlusconi et Nelson Mandela.

5. Johnny Reid Edwards était un candidat possible pour le Parti Démocrate lors des présidentielles de 2004.

6. Le Parti Républicain est surnommé Grand Old Party, le Grand Vieux Parti.

7. Jane Seymour Fonda, actrice et militante politique, s'est rendue à Hanoi durant la guerre du Vietnam où elle fût photographiée sur une batterie antiaérienne. Elle a affirmé regretter cette utilisation de son image par la propagande Vietnamienne — et sans doute par ses détracteurs.

8. Al Franken est un satiriste, comédien, homme de télévision et de radio, et un membre actif du Parti Démocrate.

9. Rush Hudson Limbaugh III est un satiriste conservateur et un chroniqueur radiophonique très écouté.

10. Richard Bruce Cheney est le vice-président de George Bush.

11. Edward Moore Kennedy est le frère de John Fitzgerald Kennedy et Robert Francis Kennedy, et une figure majeure du Parti Démocrate.

12. Sean Hannity est un animateur de radio conservateur réputé pour sa discourtoisie et sa mauvaise foi.

13. Grover Glenn Norquist est un activiste conservateur militant contre les impôts et contre l'État.

Pourquoi les choix politiques de la classe laborieuse aux scrutins sont si étourdiment et médiocrement formés est une autre affaire, et elle a presque tout à voir avec l'éducation... je vais y revenir. Une chose est sure : les républicains ont gagné leurs voix autant par la carence démocrate que par la diabolisation soigneusement organisée par les néo-conservateurs de toutes les choses de gauche. Et ils ont été beaucoup aidé quand la direction démocrate s'est tirée dans le pied en choisissant la triste baudruche John Kerry3 et en châtrant l'approximativement populiste4 John Edwards5. Oui, oui, je sais que c'est de l'eau qui est déjà passée sous le pont... mais nous avons besoin d'en tirer des leçons. Par dessus tout, les républicains ont gagné parce que les crétins de la direction démocrate vivent effectivement ce style de vie à cent dollars de l'heure : siroter des cafés au lait de dandy, les vacances en Europe, la résidence d'été, les gamins à l'université, le fromage qui sent... dont les républicains ont fait un tel foin (même si les élites du GOP6 vivent de même). Les travailleurs ont dû voir la grande trique revenir quand l'un des principaux hommes de Bill Clinton a dit : La classe laborieuse ? Il n'y a pas de classe laborieuse.

Si vous vous reculez pour regarder, il est facile de voir que le stéréotype libéral est essentiellement faux. Très peu des libéraux de base que je connais gagnent plein de fric. Alors pourquoi peuvent-ils être associés à cela si facilement ? Et bien, les pauvres cons pensent apparemment que même la pire étiquette vaut mieux que pas d'étiquette. Sans rien de constructif à proposer et pas de plan contre le goulag chrétien de Bush parrainé par les sociétés, ils semblent heureux d'être associés avec n'importe quelle sorte d'image ou de célébrité qu'on leur attache. Donc ils ont l'air satisfaits de laisser des Jane Fonda7 et des idiots fumeux tels que Al Franken8 les représenter publiquement. Pourquoi les libéraux ne virent pas Jane Fonda de la scène est au delà de ma compréhension. Ne me comprenez pas de travers, j'admire toujours son voyage à Hanoi, même si c'était une insouciante petite fille de riches. (Et à part cela, les belles minettes dans mes âges sont diablement rares.) Cependant, maintenant qu'elle a renié lâchement son voyage à Hanoi pour pouvoir vendre plus de livres, je songe à déplacer ma vie fantasmée vers les sites de porno amateur plus de cinquante ans... aucun d'entre eux n'ayant jamais laissé tomber ses fans moralement ou éthiquement, autant que je sache.

Pourquoi les libéraux pensent qu'une version en mauviette citadine et hystérique de Rush Limbaugh9 sous la forme d'Al Franken est la solution à tout est aussi au delà de ma compréhension. Si je pensais un instant que Al Franken représentait le libéralisme américain, j'embrasserais le cul de Dick Cheney10 et je laverais sa voiture gratuitement. Une chose est sure, c'est symptomatique d'un manque complet d'idées, d'inspiration et de direction. Juste une fois j'aimerais voir une icône libérale, disons Ted Kennedy11, se lever avec un calibre 12 à canon scié et dire : Vous pourrez arracher ce fusil de mes mains refroidies aprés que j'ai descendu Sean Hannity12 et Grover Norquist13 !. Sérieusement, les libéraux doivent s'affermir, ou ils ne seront plus qu'une autre substance à racler des chaussures républicaines. Ils le sont déjà.

Qu'est-ce que les démocrates proposent aux gens des classes laborieuses ? Est-ce qu'ils osent dire : Votre assurance santé est inexistante alors nous allons arranger cela en socialisant toute l'assurance santé, point. Les racketteurs médicaux de la classe moyenne supérieure iront se faire foutre. Est-ce qu'ils se lèvent et disent : Nous allons complètement arrêter la délocalisation des emplois américains ? Ou que ces fichues élections frauduleuses sont finies et ne se reproduiront plus jamais ? Font-ils du porte-à-porte pour éduquer les gens, leur montrer les liens entre les événements ? Bien sûr que non. Au lieu de cela ils jouent, comme le dit un de mes lecteurs, les majorettes pour cette exacte sorte d'engloutissement par les multinationales qui laisse la classe laborieuse brisée et plus vulnérable chaque jour. Au lendemain du désastre Kerry, qui est en tête pour 2008 ? Hillary.

Sainte mère du p'tit Jésus, venez à mon secours ! Est-il possible qu'ils aient pu trouver une garce paperassière plus froide et antipathique aux yeux des travailleurs ? Certes, il se peut qu'elle ait essayé d'améliorer l'assurance santé à une époque. Mais essayer ce n'est pas faire. C'est à son crédit mais ce n'est pas parce que la machine du parti des apparatchiks peut la faire élire à New York que le reste du pays la laissera passer si facilement.

Des historiens me disent que les travailleurs américains en général n'ont jamais été des libéraux, et ont voté contre leurs propres intérêts bien des fois depuis que les premiers candidats au congrès ont sorti les tonneaux de rhum pour arroser les électeurs. Mais des libéraux prévenants ont néanmoins pu générer assez de conscience sociale civilisée pour nous garder de régresser vers la meute de hyènes meurtrière qui est notre inclination nationale. Et si on s'en sort une fois de plus, il nous restera le plus grand bordel jamais vu dans ce pays. Je l'ai déjà dit : si nous parvenons à éviter un État totalitaire du GOP, quelqu'un devra ramasser de ses mains nues la classe laborieuse écrabouillée. Mais avant même qu'on nous permette de faire ce sale boulot, certains d'entre nous devront sortir et faire le dur travail d'éduquer les gens, et d'épeler pour eux, et de toucher les cœurs et les esprits. Ça ne sera pas facile. Les gens pauvrement éduqués, qui ont été durement baisés pendant des décennies sont enclins à la dissonance cognitive. Il faudra qu'on avale ça. Qu'on mettent nos précieux égos de côté et qu'on travaille pour quelque chose de plus grand et plus important que nous mêmes. Ça sera moche. Mais ça ne sera pas que moche.

L'une des raisons de la victoire des républicains est que notre nation a été fondée sur un égoïsme terminal. Tout le monde répond à l'avidité. Hors des murs de l'église, les Américains moyens, particulièrement les Blancs, se fichent totalement de la fraternité ou de l'idéalisme, de la nature ou de leurs voisins. Nos ancêtres sont venus ici pour posséder plus de trucs et s'enrichir. Et notre idée de la liberté est centrée sur une notion tordue de liberté de s'enrichir, la liberté de marcher sur n'importe qui pour faire nos millions si on peut s'en tirer comme ça. C'est le noyau de notre culture nationale. Peut-être que c'était la seule culture qu'une horde si diverse d'immigrants pouvait créer. Assez pour manger et une poignée de biffetons, c'étaient les seules choses sur lesquelles ces pauvres malheureux cons ont pu se mettre d'accord en arrivant. Ce genre de lutte rend méchant. Et plus on est méchant, plus il y a de chances qu'on vote pour les candidats les plus méchants (parce qu'il y a quelque chose de nous en eux). Quand il s'agit de méchanceté, les républicains n'ont jamais manqué de réserves. Il se pourrait même que les républicains représentent le parti de la méchanceté durable dans notre psyché américaine en noir et blanc. Les Américains sont un peuple méchant depuis longtemps, bien que personne ne l'admette. Ajoutez à cela l'éclatement social actuel en intérêts étroits, en tribus ethniques et économiques, et vous avez là la soupe de la méchanceté. Les beaufs n'aiment pas les Noirs. Les Juifs urbains méprisent les beaufs. Les Arabes haïssent les Juifs. Les Juifs les haïssent en retour. Et le plus grand groupe d'électeurs, les chrétiens culs-terreux, toujours à la recherche de nouveaux ennemis pour jouer leur fable du dieu vengeur, haïssent pratiquement tout le monde, ce qui fait d'eux l'outil le plus commode pour le parti politique de l'exclusion et de l'exécration.

14. Wal-Mart est la plus grande entreprise de distribution du monde, et le plus gros employeur privé aux États-Unis.

15. Bonwit Teller était une chaine de grands magasins spécialisés dans les vêtements féminins chics.

Les gros Anglo-Américains rusés des quartiers résidentiels et les beaufs sordides ne sont pas le seul mastic dans les pattes du GOP. Les gens égoïstes existent dans toutes les teintes imaginables, y compris le noir, le jaune et le rouge. J'ai vu de bons hindous, des musulmans et des juifs arriver dans ce pays avec des âmes décemment pieuses, et après avoir vraiment ramassé du blé pour changer, devenir les consommateurs les plus dégoutants, décervelés et bigots qui aient jamais rayé les allées de Wal-Mart14 ou de Bonwit Teller15. L'un de mes docteurs vient d'Érytrée. Il a grandi pauvre dans un lointain village. Mais maintenant qu'il pète dans la soie du racket médical ici aux États-Unis, il me dit que son peuple va vraiment devoir souffrir beaucoup, beaucoup plus pour pouvoir apprendre les leçons pratiques du capitalisme, et ainsi rejoindre le monde moderne. Maintenant, c'est un gars qui a grandi en faisant cuire de la viande de chèvre sur un bâton, et pourtant le rêve américain l'a transformé en trou du cul républicain. Allez comprendre. J'ai changé de docteur.

16. Quatre villes américaines portent le nom de Levittown. Elles ont été construites en série par la firme Levitt & Sons au début des années 50 et sont devenues le symbole des villes résidentielles aux maisons toutes identiques.

Les experts en connerie des médias et les artistes de l'arnaque néo-conservateurs prétendent pareillement que nous avons une société sans classes. Les premiers le font parce que ce sont de naïfs idiots coiffés, les seconds parce que ce mensonge national les sert bien. Cependant, s'il n'y a pas de système de classes dans ce pays, alors  : le gruau de maïs c'est pas de l'épicerie, l'œuf c'est pas de la volaille et la Joconde c'était un homme ! Ouaip, la haine de classe dans ce pays est réelle. Demandez à un Afro-Américain. Demandez à la racaille irlando-écossaise des logements mobiles. Demandez au gardien Jamaïcain avec trois boulots. Ou demandez moi. Évidement, j'écris ces choses par ressentiment de classe. Ça va avec la société humaine. C'est dans les circuits. Quand ces premières villes assyriennes — la base de la future civilisation — sont apparues vers 700 avant notre ère, la haine de classe est probablement apparue en même temps qu'elles. Les Assyriens avec le plus d'armes et les plus grands greniers ont mis leurs maisons au sommet de la colline et on laissé s'écouler leurs eaux usées dans les fossés tout droit vers les petits précurseurs de Levittown16 qui s'étendaient en bas. (Bon Dieu Tiglat, ces morveux de Sargons sur la colline font la fête et jettent leurs outres à vin vides dans notre cour !) La seule tricherie à peu près nouvelle c'est que les riches d'aujourd'hui ont trouvé un moyen d'alimenter les feux du ressentiment de classe pour réchauffer leur propres intérêts, ce qui constitue à coup sûr une sorte de sombre génie.

Pourtant, le dénominateur commun du système de classes américain n'est pas l'argent. Beaucoup de travailleurs en col bleu gagnent autant ou plus que, disons, les enseignants. C'est l'éducation qui fait la différence dans la vie, sans parler du destin des nations. C'est pour cela que les néo-conservateurs répressifs sont occupés à démanteler nos systèmes d'éducation publique. Un public éduqué ne tolérerait jamais leur connerie.

17. Dogpatch est la ville rurale imaginaire où se déroulait la très populaire bande dessinée Li'l Abner, publiée de 1934 à 1977.

Les néo-conservateurs s'en tirent parce qu'ils n'ont pas d'opposition réelle. Parce que les démocrates sont des mauviettes. Étant donné que les éléments libéraux de notre société matériellement bénie n'ont pas exigé l'éducation gratuite et universelle pour chaque citoyen à tout et n'importe quel prix — comme font pratiquement toutes les autre nations industrialisées civilisées — ils payent maintenant le prix de leur égoïsme. Pendant trente ans l'attitude et les actions des libéraux de base ont parlé pour eux, même si leur bouche s'est tue : Hé, dans ma famille tout le monde peut aller à l'université, alors les beaufs à Dogpatch17 peuvent aller se faire foutre. Ça a bien marché pendant un moment. Un très long moment. Mais maintenant que le ressentiment de la classe laborieuse est alimenté par les médias ultra-conservateurs, l'élite de la politique et du divertissement, et bien, les libéraux sont vraiment foutus. Je n'en connais pas un seul qui reconnaît le fondement du problème — l'absence d'éducation universelle et de programmes pour stimuler et attirer la jeunesse vers elle. Notre idée de l'éducation est aussi darwinienne et impitoyable que notre notion du travail et de la paye. Cela ne devrait pas être comme ça pour les gamins.

Cependant, la plupart des libéraux au moment où j'écris préfèrent croire que des mauvais génies de l'administration Bush tirent les ficelles de tout ça. Ce qu'ils font en effet, du mieux qu'ils peuvent. Mais le refus de la gauche américaine éduquée d'être le gardien de son frère, son manque de militantisme en général, sont à la racine de la guerre entre classes que les élites des deux côtés ont surnommé les guerres culturelles, en s'efforçant de garder le débat dans leur propres termes mutuellement élitistes et pour éviter de traiter des besoins des travailleurs. Il est plus facile de traiter de difficultés culturelles que de se bouger le cul et améliorer les choses ou de raquer les fortunes qu'il faut juste pour avoir une voix dans les médias, maintenant qu'ils appartiennent aux porcs que nous avons laissé sortir de l'enclos quand nous nous sommes endormis après les années 70.

L'autre façon d'échapper à nos responsabilités progressistes est de mépriser la stupidité supposée des millions de nos compatriotes américains qui ont voté pour notre brillant président. Ils sont la mauvaise cible. Nous, aux États-Unis, nous sommes facilement la population de la Terre dont on lave le plus facilement la cervelle, quand il s'agit d'être exposés à une inondation extrêmement sophistiquée de désinformations calculées. Sans changer cela, nous ne pourrons jamais gagner.

Il est vrai que les travailleurs américains ont régressé en une nation de bons à rien imbibés de bière et de sport, et de robots pour Wal-Mart. Ayant été élevé parmi eux, marié et divorcé d'une paire d'entre eux, je pense que je peux dire avec sûreté que, de même que la famille Bush, les miens ne devraient pas avoir le droit de se reproduire. Pourtant le libéralisme est censé mettre tout le monde au même niveau, ce qui dans cette société signifie : éducation. Et en bonus supplémentaire, l'éducation fait beaucoup pour soulager de la méchanceté susmentionnée. Je peux personnellement témoigner que, même si j'ai bossé dans bien des boulots de merde pour de l'argent crasseux sous le poing de certains des pires salauds que l'encadrement américain peut offrir, j'ai pu survivre et grandir parce que j'avais élargi mes horizons intérieurs par l'éducation. Autodidacte depuis la naissance, le savoir m'a préservé de devenir assez méchant pour rejoindre le Parti Républicain, ce qui requiert un mélange inhabituel de méchanceté, de stupidité et d'inconscience de toutes choses n'impliquant pas l'argent. Je n'avais peut-être pas ce qu'il faut pour de toutes façons, mais heureusement, je ne le saurai jamais.

Un type m'a sauté dessus l'autre jour dans un forum internet, je crois que c'était Smirking Chimp, qui disait : Mais tes amis haïssent l'éducation. Sois honnête là-dessus. Comment éduquer des gamins dont les parents ne donnent pas de valeur à l'éducation ? Toi-même tu montres un profond ressentiment contre les gens éduqués — et tu en fais partie. Imagine comme tu haïrais les gens comme moi si tu n'étais pas éduqué.

À quoi je réponds respectueusement : de la fiente !. Mes travailleurs ne haïssent pas l'éducation ; ils ne savent même pas ce que c'est car personne dans leur famille n'en a jamais eu. C'est la classe qu'ils haïssent, pas l'éducation. Ne pensez-vous pas que les gens de ma propre famille seraient sacrément fiers de dire : mon fils est avocat en assurance ! au lieu de : Kenny vide des sacs de pisse et tond la pelouse à la maison de retraite pour cinq dollars de l'heure ? Croyez-vous que ça leur fasse plaisir de dire : ma fille de trente-cinq ans qui n'avait que des bonnes notes à l'école est maintenant serveuse à l'Holiday Inn ? Personne ici n'est contre l'éducation. Ils ne connaissent simplement personne dans leur entourage qui ait réussi à en avoir une. Cependant, ils haïssent en effet l'éducation, en ce sens qu'ils pensent que cela rend les gens prétentieux (et cela rend certains prétentieux). Mais d'un autre côté, ils sont trop respectueux des gens qui ont un diplôme universitaire, et pensent que ces gens doivent en savoir plus qu'eux. (Merci à Mlle Grizz pour cette observation.)

Mon critique a continué en disant : Votre méchanceté est plus importante pour vous que votre place dans la vie.

18. Tyson Foods est la plus grande entreprise de viande de poulet, de bœuf et de porc du monde.

Ce qui montre à quel point même les gens éduqués peuvent être aveugles parfois. La méchanceté, mon ami, c'est à cause de notre place dans la vie, la place juste en bas de cette colline assyrienne, juste sous le vent de l'usine de poulet Tyson18, juste au coin de la boutique d'encaissement de chèque qui prend cent-vingt pour cent d'intérêts effectifs pour une avance de salaire.

En tout cas, notre bagarre en ligne s'est finie par, croyez le ou non, une vilaine menace libérale ! Gens de bonne foi, je ne vous baratine pas ! Cela m'a réjoui immensément car cela montre que les libéraux peuvent être encore capables de hargne brutale. C'est à dire :

19. Dans le texte original : wetbacks, littéralement : dos mouillés. L'image vient de la traversée à la nage du Rio Grande par les clandestins.

Alors essayez de bien profiter de la vie qui va empirer. Elle va devenir de pire en pire. Peut-être si mauvaise que vous commencerez à repeupler les cités du nord-est en cherchant une meilleure vie et des opportunités — comme ces Mexicains19 que vous adorez dénigrer tout le temps. Mais votre vie n'est pas encore assez mauvaise pour ça. Elle est loin d'être assez misérable pour faire agir votre espèce paresseuse. Alors ce que j'apprends de vous c'est qu'il faut qu'on monte la pression. Peut-être faire passer encore une paire de lois du groupe de pression des cartes de crédit. Peut-être rendre illégal les syndicats. Peut-être rendre le service militaire — ou des sortes de camps de travail gouvernementaux obligatoires pour les comtés en dessous d'un certain revenu moyen par tête.

Pendant qu'on est sur le sujet, voici quelques unes de mes questions favorites de lecteurs, et une tentative de réponse :

C'est sûr, tu hais la politique de Dabeulyou, mais tu préférerais t'en jeter un derrière la cravate avec lui au pique-nique de l'église plutôt qu'avec l'un de nous, n'est-ce pas croquant ?

Ouaip ! Il est stupide mais au moins il est drôle. En quelque sorte. Je parie que John Kerry ne peut pas allumer des pets dans le noir avec une allumette.

Je n'avais jamais haïs les travailleurs ruraux jusqu'à ce que je commence à lire les articles de Bageant.

Hé, vous nous haïriez encore plus si vous faisiez l'effort de descendre ici et de nous rencontrer. Avez-vous déjà regardé le stock-car, ou mangé des cacahuètes bouillies, ou passé quatre heures de suite dans une église pentecôtiste ?

La classe laborieuse ne votera jamais démocrate. Tout simplement, ça n'arrivera pas.

Cela sonne comme une excuse pour ne pas faire le dur travail de toucher les cœurs et les esprits.

Les gens ne votent pas pour des gens qu'ils haïssent, c'est simple et évident. La droite a dépensé littéralement des milliards de dollars pour marquer les démocrates comme ennemis de la culture des classes laborieuses.

Nous ne haïssons pas des gens que nous n'avons jamais rencontrés. En fait, c'est impossible d'un point de vue de pure logique. Nous haïssons des gens que nous connaissons, comme les Noirs du bout de la rue et l'Iranien de l'épicerie. (Je plaisante. Mais nous sommes quand même suspicieux envers quiconque est différent.) La difficulté c'est que les messages dans les médias ici sont tous républicains. Et si les démocrates s'efforçaient de sortir dans les rues et d'éduquer les travailleurs ? De contrecarrer les mensonges républicains avec la vérité combattante et un goût de justice ? Est-ce trop radical ?

Répondez-moi sur ceci : pourquoi devrais-je me préoccuper de Bageant et de ceux de son espèce ? Ils n'ont rien à faire de moi ! Ils ne défendent rien pour nous. Nous les citadins, nous sommes vraiment dans le besoin aujourd'hui. Plus que vous le pensez. Je ne vous vois pas nous soutenir là-bas.

Nous ne savons pas que vous souffrez. Nous prenons toute notre information de la télévision... et à la télévision vous avez tous l'air des habituels riches citadins blancs.

Et la méchanceté ? Je ne connais rien de moins sur l'échelle de l'humiliation que la défaite dans une guerre mondiale pour y faire quelque chose. Ça a marché pour l'Allemagne. Ce sont des gens gentils là-bas. Maintenant. Mon avis c'est que la vie pour vos amis qui détestent les libéraux va devoir devenir beaucoup, beaucoup plus désespérée avant que votre méchanceté soit moins importante que votre place dans la vie. Pour l'instant, vous chérissez la méchanceté plus que n'importe quel autre trait. Rien ne vous sauvera tant que ce ne sera pas soigné. Rien. Personne ne défendra la situation des gens méchants. Et c'est tout ce que vous êtes — les gens méchants.

T'as marqué un point mon pote ! On n'a qu'à se mettre à travailler là-dessus. Ensemble. Par l'é-d-u-c-a-t-i-o-n.

Voici une analyse de ce à quoi nous faisons face, encore d'un autre lecteur en ligne qui dit : Pour gagner quoi que ce soit, il faudrait que les républicains redessinent la carte électorale à leur désavantage. Il n'y a littéralement pas de mécanisme qui pourrait faire gagner un démocrate. Nous ne sommes pas assez nombreux.

Ça me fait pisser de peur quand je m'arrête pour envisager que ce gars a peut-être raison. Ce qui veut dire que tout ce que nous avons pour travailler est notre corps, notre foi et notre précieux temps.

Pourtant, quand on y pense, c'est exactement le genre de choses qui touche les cœurs et les esprits •