Si vous maîtrisez l'anglais américain...

Visitez le site de Joe Bageant.

Les essais de Joe Bageant sont joliment mis au format PDF par le site Coldtype.

Joe bageant est né en 1946 à Winchester en Virginie. Vétéran du Vietnam et du mouvement hippie, il a débuté sa carrière de journaliste en chroniquant la contre-culture des années 70. Ses essais politiques publiés sur l'internet anglophone lui ont conquis un vaste public •

Le royaume de la survie

Par Tancrède Bastié et Joe Bageant
6 mars 2011
Mise à jour : Joe est décédé le 26 mars 2011, à l'âge de soixante quatre ans.
Nous ne sommes pas et n'avons jamais été des individus, mais seulement de brefs nageurs dans la rivière de chair appelée humanité.

Voici quelques nouvelles de Joe Bageant, et d'abord la mauvaise : Joe est atteint d'une tumeur inopérable. Il a entrepris une chimiothérapie aux États-Unis, dans le cadre des facilités de soins offertes aux anciens militaires américains.

1. À l'attention de mon entourage : en dépit de ma complète inactivité sur le présent site depuis beaucoup plus de deux mois, je vais parfaitement bien. — TB

La première bonne nouvelle est que Joe est actuellement sorti de l'hôpital et poursuit son traitement chez lui. Je me sens de mieux en mieux chaque jour, dit il, mais je suis tellement occupé à garder le fil de quand et combien de pilules je dois prendre qu'il faudra un moment avant que je me remette à écrire. Je n'ai même pas touché à mon portable en deux mois1.

La seconde bonne nouvelle est que Joe apparaît dans un film indépendant intitulé The Kingdom of Survival, produit par Slow Boat Films. Je n'ai pas vu ce film, qui se propose de donner des perspectives radicales et alternatives pour le XXIe siècle en s'entretenant avec des personnes d'opinion plus ou moins marginale (le linguiste et intellectuel engagé Noam Chomsky, l'historien Mark Mirabello, le constructeur de maisons économiques et semi-enterrées Mike Oehler, l'éditeur anarchiste Ramsey Kanaan, l'animatrice de radio et auteur Sasha Lilley et le musicien Will Taylor). En voici cependant un extrait suivi d'une traduction (le film sera disponible sous-titré en français) •

Je n'aime pas beaucoup les gens de la classe moyenne. Je ne les aime tout simplement pas, et c'est à cause de mon milieu. Ils ont tendance à devenir arrogants très vite. Leurs plans d'épargne retraite sont sur le dos de mes frères, de mes pères, des gens comme ça. C'est la raison pour laquelle ils gagnent de l'argent sur le marché boursier, parce que ces gars en bavent et se défoncent toute la journée pour produire la richesse que d'autres gardent.

2. Il est indispensable lorsqu'on lit des textes politiques américains de garder à l'esprit que le mot liberals y désigne, à l'inverse de l'usage français actuel, des gens de gauche. En revanche, les gens que nous appelons libéraux ou ultra-libéraux sont en Amérique des neo-conservatives (parfois abrégé en neo-cons). L'usage américain a été transposé ici car il rend une meilleure justice à l'étymologie. De plus, l'appellation neo-cons a aux oreilles françaises des résonances si flatteuses que nous pourrions bien finir par l'adopter.

Et... c'est tout ce que je voulais faire. Je veux dire, l'éditeur a fait : Bon, vous, vous savez, vous essayez d'informer les bons libéraux2 de la Côte ouest. Vous savez, cette quatrième génération qui va à l'université et des choses comme ça. J'ai eu beaucoup de colère là-dessus, je n'en ai plus. Comme : Écoutez, vous, on vous a toujours tout fait et vous ne le savez même pas, et vous méprisez ces gens là. Ce sont les miens, et nous sommes une culture, et... C'est en quelque sorte ce que les gens ont fait du livre. Je suppose que c'est ce qu'il est. Je veux dire : qui lit ce pamphlet ? Les miens ne le lisent pas. Merde, ils ne lisent rien, jamais. (rire)

On se demande parfois pourquoi on fait ça, mais... parce que on en a besoin. On en a besoin. Et c'était un moment très politisé, et... Il y a de multiples bruits politiques, qui ne sont tout simplement pas vrais, les amis ! Ces gars ne sont pas racistes, Jésus. Tous les beaufs que je connais ont quelque chose comme une fille qui a épousé un Noir, et une infinité de choses. Ce n'est simplement pas comme ça, ce n'est pas ce qu'ils pensent, vous savez ? Alors j'essaye de dissiper un peu cela, et aussi... de traiter les gens avec humanité, bon Dieu. Ils se lèvent le matin et saignent avec le reste d'entre nous, vous savez ? Essayez de les regarder avec un peu de compassion, au lieu de construire un bon Dieu de mur autour d'eux. Faites ça et les républicains peuvent les lancer à la charge, pour leur faire faire ce qu'ils veulent, vous savez ?

3. Votre éducation. Je serais étonné que cet entretien n'ait pas été précédé de quelques verres de bourbon.

Êtes-vous le gardien de votre frère ? Alors assurez vous qu'ils aient une bon Dieu d'éducation. Vous savez, nous sommes la cinquième génération où personne ne sait quoi que ce soit. Vous le savez ? Parce que ce n'est pas une société compatissante et... Aussi longtemps qu'ils seront dans la prison des bourgeois — c'est l'ignorance — et aussi longtemps que vous les laisserez pourrir, vous savez, parce que... Je vois ça comme ça... Quand je suis allé à New York, dans de plus grandes régions urbaines... Vous, vous avez eu la vôtre3. Vous avez eu la vôtre il y a trois générations, pendant que les nôtres se faisaient barrer la route... Et chaque bon Dieu de guerre depuis les guerres françaises et indiennes, et maintenant ils la font en Irak et en Afghanistan. Mais vous savez, vous n'avez pas tendu la main. Vous n'avez rien fait pour ces gens. Vous êtes parfaitement contents de les laisser être idiots, vous savez ? Et vous... Nous sommes le gardien de notre frère, et c'est cela que je ressentais pour ce livre, vous savez ? Bon Dieu, c'est en partie de votre faute, tous les gentils libéraux aisés. C'est en partie de votre faute, vous savez ? L'esprit du libéralisme est la compassion et l'égalité, et vous ne faites rien de cela. Vous investissez de l'argent.